Quand la pluie abondante abreuve la Nature, Quand la terre se donne au soleil, au labour, Je vois la jolie fleur égayant la pâture Et mon cœur bat d’amour.
Quand broute dans son champ la vache l’herbe grasse, Quand siffle dans son nid le joyeux sansonnet, Guilleret, je bondis et comme un fou je brasse L’air avec mon bonnet.
Quand l’été doré a laissé le pré brûlé, Une feuille a fané et s’en va de sa branche ; Esprit et cœur troublés ont tous deux basculé : Sur elle, je me penche.
Je la recueille avec grâce et sans pincement Pour la soustraire à une inutile souffrance ; J’aimerais la soigner avec un pansement De crin, de préférence ;
Je n’ai qu’un baiser à déposer, amoureux Sur la pointe, la queue, la nervure centrale En disant « Ca va mieux, ce côté douloureux ? » Avant son dernier râle.
Et, grand bêta, je pleure et pleure en moi l’enfant Sachant qu’il s’usera saison après saison Ainsi que ce restant du temps que je défends Peut-être sans raison.
Ô, mes feuilles, mes fleurs, vous avez du malheur ! Je vous ressemble tant quand viennent la froidure Et la neige en hiver, en été, la chaleur Que comme vous, j’endure.
Feuille vole, tourne, danse et remonte et tombe : Jamais plus tu n’iras tutoyer la nuée ; Comme toi, sous mon toit, j’ai honte de la tombe Qui veut ma vie tuée.
Beautés, vous ignoriez que tout lasse et tout passe Car on vous cache ce que devient le terrien : Vous, toutes rabougries et moi le dos qui casse Jusqu’à n’être plus rien.
Laissez-moi boire une dernière goutte d’eau Gardée dans un repli - un tout petit abri - Pour celui qui voudra accepter le cadeau De votre humble débris.