Mes bras sont aussi longs que les bras du fauteuil Qui a été créé bien avant ma naissance ; Il était déjà là quand entrait le bouvreuil Dans ma chambre blanche où l’on faisait connaissance
Mais il s’envolait vite : il n’aimait pas s’asseoir Et le vent l’embecquait sans que son corps se pose Sur un fil électrique et j’attendais le soir Pour qu’il revienne voir comment je me repose.
Il se lassait de moi – parfois un mois entier Et réapparaissait dans un doux froufrou d’ailes Avant de repartir en suivant le sentier Qui longe la maison des frêles hirondelles.
Ce matin, le séant et les bras du fauteuil M’ont accueilli avec la même bonhomie Quand mes bras ont senti un petit écureuil Venu tester de nous la bonne ergonomie.
Ce joli raton roux plus que mon cheveu blond Orgueilleux de sa queue longue en panache douce Pesant moins qu’une plume et qu’un fil de nylon Tente avec ses dents de me grignoter le pouce.
Il me regarde, je ne bouge pas et hop ! Le voici qui bondit et passe la fenêtre, Atterrit sur la rue, les voitures au stop Le laissent filer vers la forêt qu’il pénètre.
C’est un midi que le miracle se produit : Ecureuil et bouvreuil investissent ma chambre Au moment où maman gentiment s’introduit En tenant un encens faisant fumer son ambre
Pour purifier (comme à l’accoutumée) l’air Et en voyant les deux garnements sur ma cuisse Se faire caresser, sa langue en un éclair Lance : lequel des deux, dis, veux-tu qu’il jouisse !
Mais, maman est âgée de près de nonante ans Presqu’autant de temps qu’elle est restée dans ce siège Avant moi et sourit ma bouche quand j’entends Son souci de vouloir me prendre dans son piège…
Je ne sais pas ce qu’en pense mon vieux fauteuil Qui en a vu d’autres depuis belle lurette ; Me dira-t-il qu’il s’est assis sous un chevreuil Quand je l’ai quitté pour un baiser de Laurette ?
Tout son corps peut s’offrir encore a bien des corps Même si grincent dos, pieds, jambes, bras, sa fesse ; Il se pense maître fidèle du décor Quand il sent que sur mon cou ma tête s’affaisse.
Ton tissu rouge vif a pâli, mon fauteuil Et tes fibres usées montrent ton rembourrage Mais te vêtiras-tu de mes habits de deuil Puisqu’a fini ma vie de coudre son ouvrage ?