O mon fils, je te vois et te tiens dans mes bras Et je n’en reviens pas de cette beauté tendre Qui vient d’éclore ; je n’en pouvais plus d’attendre Le vengeur d’un papa au destin si ingrat
Dont le père était un maître orfèvre-horloger Qui avait dans les mains plus d’or qu’en Tanzanie Et dans la tête, la fête et la zizanie Toujours impossible aux amis à déloger.
Je suis donc son garçon identique en tout point Sauf que se plaisent mieux mes doigts de la main gauche Que ceux de la main droite enfoncés dans la poche Et aucun ne peut se rassembler dans un poing.
Ma mère disait « il n’est pas très manuel Et ne peut tresser des nattes avec du lierre Mais il sait ciseler des vers à la Molière Et chanter la venue de Dieu l’Emmanuel.
O mon fils, tout ça ne mange pas bien de pain Mais toi, tu te nourris du lait frais de ta mère Pendant que j’avale des règles de grammaire Et que je rêve de gigot et de lapin.
Mon père à moi est mort d’avoir bu trop de vin Et quand on presse le nez de ton papa coule Une goutte de lait ; écoute qui roucoule : C’est la tourterelle… Oh ! Ce matin est divin !
Tu dors sur moi et tu entends l’oiseau de paix Raccommoder l’accroc de mes lignées anciennes Et sa mélopée vient d’antiques magiciennes Qui ont changé un bœuf en agneau quand il paît.
Si avaient été tes géniteurs moins peureux Je pourrais te laisser seul ramper ventre à terre Jusqu’au volcan bavant la boue de son cratère Brûlant vos flancs hurlant : souffrir mais être heureux !
Mon garçon, tu viens de mouiller mon radius ; Je vais donc te sécher… mais, tu es une fille ! Mes yeux sont grand ouverts et ronds comme une bille : Avais-je besoin de te faire un tel laïus !?
Pourquoi ne pourrais-tu, après tout, me venger Avec la puissance de ta féminine âme S’opposant à celle du mâle qui se pâme Devant la lâcheté cachée sous le danger ?