Ce matin, je me lève et je monte le store : Tout ressemble à la veille et tout est à sa place, Même cet arbre mort au tronc gris qui déplore Sa branche vermoulue pourtant de même race.
Les peupliers sont là, les marronniers aussi ; L’étang est plus petit : les herbes ont grandi ; La tanche et la grenouille ont peut-être grossi : Serait-ce un batracien que le garde brandit ?
L’allée est toujours droite et remplie de cailloux, Ces petits animaux tenant chaud aux semelles ; Soucis et pétunias, le gui pris dans le houx, Les dahlias, les glaïeuls, toutes les fleurs s’emmêlent.
Tiens, que fait le soleil ? Il n’est plus sur la haie, Il a du se cacher, il aime aussi jouer ; Je cherche mon auto que ma dame soustraie A la vue des regards : où a-t-elle échoué ?
La grille en fer forgé est fermée : c’est tant mieux, Firmin est tête en l’air et la laisse entr’ouverte Aux chiens, aux importuns venus m’évoquer Dieu Que je loue à l’année pour garder l’âme verte.
Et la maison du vieux dont je vois le toit gris Semble tenir debout, (j’entends sonner la cloche) J’aimerais l’acheter, j’y mettrais un bon prix : Si l’ancêtre était mort, ça serait dans la poche !
Ma femme, où est-elle, cette sainte Rita ? Dans un coin du château, ou – surprise – partie..? Elle a besoin d’espace cette Lolita Qui admire Watteau dont elle est départie.
(Watteau est au fumoir sous les fumées d’encens ; Son talent sur le mur me rassure et comment ! Iris est dans ce cadre jouant et dansant Jusqu’à la fin des temps et à chaque moment)
Je reconnais Albert, vagabond misérable, Saluant le Deban, cet ancien épicier Qui recueille une feuille tombée de l’érable Avec ses doigts crochus qui sont ceux d’un sorcier.
La lune poursuivie par un nuage en vie Ne montre en son entier que son dernier quartier Tellement transparent qu’il me donne l’envie D’aller le colorier en geste d’amitié.
Le pauvre Antoine passe en me faisant un signe : « Bonjour, Monsieur le duc, comment va ce matin ? » Lui parle à la fauvette et caresse le cygne ; Je dors en rêvant d’or dans des draps de satin.
Chacun est à sa place et s’il manque un fugueur, Ce n’est pas mon corps qui s’inscrit dans ces décors Avec le grand bonheur de traîner sa langueur En parfaite harmonie dans ces parfaits accords.