Je suis l'ours enchaîné, obéissant, docile Qu'on traîne quelquefois par les rues de la ville Aux places des marchés. J'avance doucement. Je n'ai pas très envie de danser pour les gens.
Je suis l'ours muselé. On a peur que je morde. On m'a fermé la gueule avec un bout de corde. " Faudrait pas que tes crocs affolent les passant!" Dit souvent mon maître, "surtout les bien-pensants !"
Au diable les pensants, j'ai besoin de nature. La vie ainsi menée me semble bien trop dure. Je n'ai jamais pu faire un semblant de courbette Sans prendre un coup de fouet, avant. Mais je suis bête!
Quand je vivais là-bas, dans mes forêts lointaines, Je pouvais gambader. Je n'avais pas de chaînes. Je pouvais m'endormir, le soir, au clair de lune Auprès de ma femelle à la fourrure brune.
Nul ne me demandait de jouer le gentilhomme, De vivre comme lui, aux sons de l'harmonium. Nul n'exigeait de moi de bouger la babine Pour faire croire que je récite Racine.
Les racines que j'ai connues sont dans la terre. Elles embaument le thym, elles sentent la bruyère Et respirent le vent qui souffle en liberté. Vos racines à vous ne sont que des idées.
Je suis l'ours imbécile aux allures humaines, Un ours à peine vrai qui danse et se promène Sur le fil de la vie tendu par des bourgeois, Mais pas par des enfants ni des filles de joie.