J'ai hissé la grand'voile
J’ai banni mon passé en larguant les amarres,
De la poupe à la proue j’ai balayé le pont,
Laissant derrière moi de bruyants tintamarres,
D’un passé que je pends sur le mât d’artimon…
Sur le quai j’aperçois, des mains parmi la foule,
Agitant des mouchoirs, nous faisant leurs adieux,
Espérant entrevoir balançant sous la houle,
Celle qui m’a quitté pour rendre un autre heureux…
J’ai hissé la grand ‘voile, petit foc et misaine,
Petit cacatoa et un seul perroquet,
Et je mets à la voile en tant que capitaine,
Faisant voile en l’instant en m’éloignant du quai…
Sur l’immense océan où vogue mon délire,
J’égraine au gré du vent mes souvenirs lointains
Sur la crête des flots je vois flotter mon ire,
Dans l’abysse noirci par l’ombre du destin.
Toutes voiles dehors, debout devant la barre,
Je pense à l’avenir à un proche futur…
Et me mets à rêver en pensant à Jean, BART,
Ce courageux corsaire, ce marin d’aventure.
Me voyant sur le pont, ordonnant l’abordage,
Combattant en lion, comme esclave enchaîné,
Faisant feu de tous bords, et créant un sillage
Du sang de mes chagrins, sur la mer déchaînée…
Les cris se sont éteints, et avec eux ma rage,
Celle qui était en moi, embarquée sur le port,
Celle dont je n’ai pu, larguer comme amarrage,
La jetant sur le quai, comme on jette un vieux sort.
Mais le vent est de dos et il m’est favorable,
Laissant derrière moi mon passé tumultueux,
De bâbord à tribord j’affronte le diable,
Offrant mes souvenirs aux cormorans furieux…
Hissant le pavillon sur le mat du hunier,
J’ai jeté par tribord ma folie négrière,
Signe d’abolition pour ce vieux négrier,
Qui fut le prisonnier d’une belle geôlière.
14-11-08