Où irez-vous mes vers, quand je ne serai plus ? Où irez-vous quand moi j'aurai quitté le monde ? Suivrez-vous le chemin de mes jours révolus, Sombrerez-vous aussi dans quelque nuit profonde ? Ou bien vous lira-t-on avec difficulté Tant le langage humain change avec les époques ? Faudra-t-il un savant de quelque faculté Pour dire les idées qu'à travers vous j'évoque ?
Pour vous garder vivants, vous aura-t-on traduit Et aurez-vous perdu votre forme première ? Que dira-t-on de vous qui naissez aujourd'hui ? Que vous êtes tournés d'une étrange manière ? Que vous êtes vieillots, baroques, précieux ; Que votre père avait un bien étrange style Et que l'alexandrin au rythme gracieux Au siècle où il vivait était bien inutile ?
Dans l'avenir, encor, saurez-vous émouvoir, Saurez-vous enchanter des hommes et des femmes ? Aurez-vous sur leurs coeurs encor quelque pouvoir Pour que je vive un peu au travers de leurs âmes ? Les verra-t-on pleurer quand ils vous auront lu ? A leur tour auront-ils quelques pensées fécondes ? Où irez-vous mes vers, quand je ne serai plus ? Où irez-vous quand moi, j'aurai quitté le monde ?