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Leonard PECOUT

Il me vient soudain une belle envie d’écrire

Il me vient soudain une belle envie d’écrire, de jouir du mot et de la phrase, ces douces créations de l’esprit humain, cet être difforme et pourtant sublime, fier porteur d’un talent qui l’illumine : le langage, le logos, la capacité d’associer des mots, de bêtes lettres dont le sens échappe à celui qui ne l’a pas appris.

Lorsque je le fais [écrire], c’est comme si je me libérais du fardeau éprouvant du non-sens de la vie, puisque j’estime que notre existence n’est pas si certaine et si propre à dire qu’elle sait où elle va.

Je ressens - disais-je - une liberté à écrire de simples mots ensemble, chaînes verbales, suites pro-nominales, déclinaisons douteuses d’une syntaxe affranchie du code soupçonneux de la bonne langue française ; le langage codé des mœurs !

Comme un Montaigne ou un Pascal, je me livre à cet exercice libre de la pensée qui divague, de l’homme qui va, qui n’endigue pas ses peines, qui ne freinent ni ses passions, ni ses tristes et honteuses actions, qui propose dans son cabinet secret d’individu cloîtré une vision de son monde et de ce qu’il est.

Montaigne dit : je me présente à vous comme je suis, sans supercheries, sans artifices - c’est moi, seulement moi, cet être dégarni, pas si joli, humainement vivant, organisé en un tronc uni, relié par des extrémités élancés de bras, de jambes, de pieds et d’une tête juste bonne à penser.

Il est certain que nous ne sommes pas sur terre pour rien… Et peut-être bien que si ? Nous avons des envies, des ambitions personnelles, mais avons-nous des choses à dire ? Peut-être que c’est ainsi que chacun vit sa vie : en ayant des choses à dire.

Un sourire peut faire tant de bien. Une gifle tant de mal. Un baiser accepte de jouer les deux rôles. Je crois que le geste - qu’importe ce qu’il est - compte éternellement. Il révèle en fait à l’autre ce que je suis. Et je ne le contrôle pas. C’est en cela qu’il est moi, véritablement moi. Un moi incontrôlé, spontané, sans tromperie. Uniquement moi, et c’est tout. Vous êtes déçu ? C’est normal. Je ne suis pas celui que vous avez rêvé. Je ne suis que moi, en fin de compte, au bout du bout de la réalité de mon être. Et je peux vous assurer que cela fait du bien de le comprendre, de s’en rendre compte : de voir ce qui est, plutôt que de rester finalement et à jamais enfermé dans ce qu’on imagine, ce que l’on souhaite. Avoir accès à cette vérité - si peu importante - calme beaucoup d’angoisse. Car je crois que l’on angoisse trop d’autrui. Celui pour qui l’on porte son amour, son affection, pour qui l’on déploie une belle inclination, devient à nos yeux un diamant rare que l’on chérit sans même trop le connaître. Et c’est dangereux… Enfin, c’est un doux danger qui nous apaise, qui nous comble dans notre esprit, lorsque l’on pense à lui, seul, dans notre cage personnelle, tout imaginatif. Et oui, car je crois aussi que l’on s’aime énormément, et qu’on ne vit finalement que pour être. Toutes ses tactiques qui nous font dire que l’on préfère l’autre à soi me semble parfaitement fausses, mensonges et tromperies. Car je crois que je ne crois plus à l’altruisme. Il me semble que toutes ces valeurs de gentillesse étourdie sont des vapeurs d’ahuris, des espoirs abasourdis, des illusions en perdition. L’on s’aime tout simplement, et autrui n’est qu’un moyen en vue de satisfaire notre propre et première fin qu’est cet amour si simple pour soi-même. C’est une vue très pessimiste, je vous l’accorde et je reconnais là mon caractère triste qui s’anime, sort, se déploie et veut s’étendre sur l’ensemble de mes doigts afin de poursuivre sa litanie, afin de perpétuer cette association de mots, afin de rendre cet acte d’écrire le plus infini qu’il soit.

Lorsqu’on écrit, est-ce qu’on pense ? Je veux dire - oui, bien sûr qu’on pense, mais lorsqu’on écrit seul, sans barrière intellectuelle, juste soi avec soi, juste moi avec moi, bercé par le doux bruit de la plume qui se cogne sur le papier perdant sa virginité blanche, ou par le bruit mécanique des touches d’un clavier d’ordinateur, pensons nous vraiment ce que nous disons ? J’écris là. Je ne pense pas. Je crois alors qu’écrire est une forme obscure de ma pensée. Une révélation soudaine de qui je suis. Une sorte de puissance secrète, ou dissimulée, de ce que je veux être. Ce qui se cache en moi ne devrait pas sortir aussi facilement. Et pourtant… malgré toute la difficulté interne qu’il y a à faire accoucher moi-même des tristes vérités qui me définissent... je le fais : je parle en écrivant. Et en lisant ce que j’écris, je relis ce que je suis. Gracq a écrit un livre qu’il a intitulé En lisant, en écrivant. Je crois que moi ici je pense en écrivant. Mais quelle cause est l’effet de cela ? Je veux dire : Gracq écrit-il parce qu’il lit ? Ou lit-il parce qu’il écrit ? Et moi, je pense parce que j’écris ou parce que je pense, j’écris ?

Qui suis-je ? C’est la question fondamentale qui me revient comme un mantra infernal, inépuisable et inépuisé, tant la réponse a du mal à sortir clairement de ma peau, de mes lèvres, de ma bouche, de mon corps enfin, de mon être finalement. Il me paraît logique que tout un chacun se soit déjà demandé qui il était, parce que c’est ainsi qu’on est né. Je manifeste ici un besoin essentiel à mon être, et à tous les êtres, car je suppose que chacun des hommes sur cette belle terre souhaite savoir ce qu’il est. Naître fut peut être l’expérience la plus douloureuse ou la plus effrayante que j’ai eu à vivre, se dit chaque être humain ? Précisément parce que naître est un acte que nous seuls n’avons pas connu, et n’avons pas même voulu. De là vient mon interrogation : suis-je libre de naître ? Est-ce ma volonté d’être né, d’être arrivé ici-bas, dans un monde qui m’accueille à bras ouverts, symbolisé par ces deux êtres qui déjà me chérissaient avant même que je n’apparaissent ? Le père et la mère, ces deux êtres qui m’ont voulu. Mais me suis-je voulu ? Il ne semble pas que cela soit le cas. Mais au vrai qu’en sais-je ? C’est ainsi. Nous sommes. Un point c’est tout. Et on va apprendre ensuite à être de futurs parents en puissance. Nous nous ferons mimes de ceux qui nous adorent, nous jouerons à la dînette, à la poupée, au chevalier et autres sornettes qu’on appelle les jeux imaginatifs de l’enfance. Ces moments sublimes dont la source provient de ce que nous voyons. Ces moments d’extase enfantins où je deviens autre, où je me fais autre pendant un court instant fugace de bonheur. Demandez vous un temps qui vous étiez enfant ? Moi je m’en rappelle peu. Finalement, j’ai vite oublié. Et je crois que me souvenir est impossible. J’en conserve seulement un moment agréable, une sorte de tache d’encre sur un bout de papier, qui signifie un passage de vie passée, mais vif et actif. J’étais un autre lorsque j’étais enfant. Je me demande si je suis vraiment moi à présent ou si je ne fais que poursuivre une vie dissimulée dans la coquille trop réaliste d’un autre. Peut-être suis-je pour toujours enfermé dans un rôle inconscient calqué sur mes parents. Je me suis souvent demandé si j’étais vraiment moi. Il m’arrive parfois de m’en rendre compte lorsque je m’arrête, surpris, étonné, embêté, alors que je viens de réaliser avoir répété l’exact geste fait par mon père à un moment précis de la journée. Je le vois alors en moi, je me vois en fait en lui. Ce geste anodin si l’on n’y prend pas garde, qui devient lorsque réalisé par moi - le vrai à ce moment-là - un pure geste de mime, une représentation de l’autre qui n’est pas moi et que j’incarne, que j’ai trop longtemps incarné. Pourquoi ? Est-ce parce que je ne souhaite pas être moi ? Je pense que cela tient de l’admiration enfouie en moi que j’ai pour mon père. J’ai toujours eu l’impression qu’il savait tout. Qu’il connaissait tout sur tout. Qu’il pouvait développer longuement sur un sujet.

Je n’arrive pas à écrire plus loin ce que je pense. Je suis bloqué. Je n’arrive pas à écrire plus loin que ce que je pense, mais ce que je pense ici est impossible à dire. Je ne peux pas l’écrire. Je ne sais pas pourquoi. Je ne peux pas le dire. Ma pensée n’est pas rédigeable. Ma pensée n’a pas de mots pour exister. Elle n’est que pensées, brume, brouillage, nuage, vapeur, éther, obscurité, mélancolie, incertitude, temps sans consistance. C’est frustrant, d’abord ; puis terriblement excitant ! Ce défi du langage est de trouver le mot juste, de savoir, de comprendre qui je suis et pourquoi je suis ainsi… Mais c’est dur. Difficile. Rude, âpre, sévère. C’est une menace implacable que de savoir écrire.

En fin de compte, je crois qu’une phrase suffit parfois. Je crois qu’on est tous un peu spéciaux, excentriques à notre manière. Uniques. Sublimes. Margaret Mead dit ainsi : Always remember that you are absolutely unique, just like everyone else. Et cela me paraît rudement bien vrai.

Écrit un soir d’automne.
Un écrit sûrement pas monotone
Tant il résonne en moi, tant il tonne,
Tant je m’abandonne à lui
Tant je m’affranchis de la maîtrise de mon être.
Un texte où je dis des choses enfouies, mais pas encore assez fouillées,
Un soir d’automne...