Ce soir, comme tous les autres soirs, Je traîne ma douleur sans espoir. Ce soir comme tous les autres soirs, Pour cohabiter avec mon désespoir J’aurai besoin de tout mon courage Car je ne serai victime d’aucun tripotage. Au seuil de mes dernières années, Je suis seule, vieille et condamnée. Moi qui étais une dulcinée ! Les jours je suis abandonnée. Les nuits je suis triste. Et personne n’est au courant. De mes anciens soupirants, Je refais encore une fois la liste Dans un fidèle et vieux recueil, Me punissant ainsi de l’orgueil Dont je faisais toujours étalage En réponse aux nombreux hommages. Harcelée par le chagrin et les regrets, Je pleure souvent en repensant au temps . . . Au temps où l’on m’aimait en secret. Il y a de cela hélas très longtemps, Quand j’étais jeune et belle J’étais une adorable jouvencelle Légère, fraîche et exquise. J’exhibais avec moult mignardise Un sourire coquin et ravageur Pour faire trembler tous les cœurs. Je remerciais souvent dame Nature Pour ce dont elle m’avait dotée. En rêve, je me donnais en pâture Aux hommes qui m’avaient domptée. Le lendemain, au grand soleil et court vêtue, Sur toutes les places et par toutes les rues, Je vous jure qu’en ce temps, j’avais fière allure Avec ma bouche pulpeuse rouge cerise ; Avec mes yeux mutins couleur azur Et mes cheveux dorés emportés par la brise. Je brûlais le pavé, heureuse et altière. J’avais à mes pieds la terre entière. Les cris d’admiration et les yeux exorbités ; Les ovations et les assauts répétés De mes innombrables prétendants, Je les dédaignais superbement en souriant. Loin de moi ces affreux traîne-misère . . . Aujourd’hui, à cause de mon inappétence, Je constate que ma vie est un immense désert Où règnent la solitude et l’absence. Les pleurs ayant ravagé mon visage, Je ne suis plus cet oiseau multicolore. Gaspillé bêtement mon beau plumage ! . . . A moi la repentance et les remords. Les yeux humides et les soupirs fréquents J’ai pour compagnon le chagrin qui m’enivre. Non ! Je ne regrette pas mon choix inconséquent. Ce sera pour tous les jours qui me restent à vivre, Mon châtiment dans le désarroi et la solitude Pour mesurer et assumer ma sotte attitude. Et, comme personne n’a su me prévenir,