Ce soir encore, comme tous les autres soirs ; Depuis quelques temps, c’est le désespoir Dans le cœur de l’ancienne reine de la nuit. Elle est là ; inquiète et submergée par l’ennui.
Dans cette grande et célèbre brasserie, Tandis que tous les clients s’amusent et rient, L’ancienne courtisane est seule, perdue Dans des pensées alarmantes et éperdues Dans le brouhaha des rires et des murmures. Elle est là, seule est triste dans ces murs Qui retentissaient jadis de ses grandiloquences Quand elle était l’incontestée reine de ces lieux ; Elle qui était le fantasme des machos oublieux.
On lui jette au visage sa déliquescence Lorsqu’elle croise les regards de ces messieurs Frappés d’amnésie quant à ses anciennes bontés Au temps où elle s’offrait lors de nuits agrémentées.
Elle se sent exclue, pitoyable et lamentable Car ces messieurs ne s’arrêtent même plus à sa table. Ils passent avec sur le visage, de la commisération Accompagnée de gène, de culpabilité et d’indulgence. Pour eux tous, elle n’est plus que résurgence.
Entre les entrechoquements des verres alcoolisés Et le bruit des chaises qu’on déplace en bougeant, Sa présence jadis tant attendue, s’est banalisée Et ceux qui l’ont aimée en deviennent désobligeants.
Le temps qui passe ne connaissant pas la mansuétude, Elle n’est plus cette beauté adorable et inaccessible Qui faisait battre les cœurs avides de béatitude ; Elle n’est plus l’objet de tant d’aveux indicibles.
Sur son visage vieilli, il y a une certaine inquiétude. Enfermée dans un déchirement indescriptible, Elle voudrait fanfaronner ; jouer les irréductibles Car elle ne veut accepter le vieillissement de son corps ; Car elle ne veut pas rentrer seule cette nuit encore Pour se retrouver seule dans ce lit qu’elle hait.
Il y a là-bas un beau jeune homme qui lui plait.
Aura-t-elle le cran de jeter son dévolu sur cet adonis ? Finalement, elle renonce à cet invraisemblable caprice Car tous les yeux l’espionnent ; scrutent chacun de ses gest Tous les yeux sont prêts à se réjouir de sa déconvenue.
Non ! Ce n’est pas de la méchanceté indigeste. . . Seulement, si tous ces jeunes gens sont venus Passer la soirée dans leur brasserie habituelle, C’est pour se divertir comme tous les soirs. Certes, tous ne sont pas à bord de la même périssoire. . . Sur le quai, il y a ceux dont le châtiment est factuel.