Passez ! Matins qui s’éveillent ! Je ne suis qu’une bouteille.
Après m’avoir bue au goulot, Il m’a jetée, l’ostrogot, Au fond du caniveau, pour morte, Détritus que l’eau sale emporte. Il ne m’a pas fait de quartier, Il m’a jetée sans pitié Comme si on pouvait jeter Celle qui vous a tout donné.
Allez ! Matins qui s’éveillent ! Je ne suis qu’une bouteille.
Rien qu’à contempler sa dégaine Je l’avais deviné en peine, J’avais lu au fond de ses yeux Le verbe noir des malchanceux. J’ai pris un peu de sa souffrance, Il m’a prise sans résistance, Décapsulée, mise nue, L’âme diaphane, il ma bue.
Passez ! Matins qui s’éveillent ! Je ne suis qu’une bouteille.
Il avait les paumes calleuses, Les yeux cernés, les joues creuses, Il n’a pas prononcé un mot, Les mots qu’il pensait pesaient trop Sur les épaules de sa perte. Ouverte, je me suis offerte. Il a puisé dans mes entrailles Le dernier feu de ses batailles.
Passez ! Matins qui s’éveillent ! Je ne suis qu’une bouteille.
Gisant à deux pas de l’égout, Entre indifférence et dégoût, Je vais terminer ma carrière Explosée, en bout de misère Car un zig à court d’émotion M’a prise pour médication. Il m’a fait mal, il m’a fait peur, Il m’a fêlée côté cœur.
Passez ! Matins qui sommeillent ! Je n’étais qu’une bouteille.