La complainte de la gargouille
Ah mais arrêtez donc, de l’infernal beffroi,
Cette cloche qui hurle et me glace d’effroi,
Cette autre qui bourdonne, ou triche, ou m’empoisonne,
Ces cloches qui ne servent plus guère à personne
Et crachent les derniers assauts de leur conquête,
Boucans inconséquents au-dessus de ma tête
Qui déchirent mes jours de leurs plaintes aigües
Comme pour m’arracher les oreilles pointues,
Attributs de Satan qui en d’autres époques
Faisaient autorité. Aujourd’hui, on s’en moque.
Alors, arrêtez donc de faire aller ces cloches !
Innocent, je n’étais qu’un simple bout de roche
Qu’en six coups de burin, vous avez fait démon
Pour m’élire le roi de vos désolations.
Vous m’avez exposé au monde et à sa haine
Pour protéger vos cœurs de vos âmes malsaines.
Vous avez fait de moi, pauvre bouc émissaire,
Le coupable parfait de vos sombres misères,
Le seul instigateur de vos piètres embrouilles.
J’étais grès innocent, vous m’avez fait gargouille
Que sonnent à tout va ces masses qui piochent.
Arrêtez, arrêtez, mais arrêtez ces cloches !
Je veux bien me plier et faire à contrecœur
Ce pourquoi je fus mis, ce pénible labeur
De dégueuler d’un trait, tout en bas sur la foule
Les fientes et les eaux qui du clocher s’écoulent,
Entendre les passants m’insulter, me maudire
Pour n’avoir évité leur manteau de cachemire,
Leurs délicieux bibis, leurs blondes permanentes,
Mais de grâce arrêtez ces cloches lancinantes
Qui vont me rendre fou, me broyer la caboche.
Arrêtez, par pitié, ces satanées cloches !
Leur douleur me dessine un rictus sur la face
Qui se fige mortel sur ma peau de caillasse
Dans une grimaçante expression de martyre
Que des esprits chagrins prétendent un sourire.
Avec des bras sans mains accolés aux côtés
Et des jambes sans pieds prises dans le mortier,
Mon corps à chaque éclat frappé par mes bourreaux,
Se fissure et s’effrite et finit en morceaux.
Arrêtez, arrêtez donc… dong, ding, dong… ces cloches !
Je m’en vais, je m’écroule. Attention ! Ça ricoche !