Sur ses jambes de pierre Où s'accroche le lierre, Il est depuis longtemps Le témoin de son temps Ainsi que la mémoire. Il connaît bien l'histoire Des hameaux désertés Dont il fut la fierté. Les prénoms des enfants, Leurs rires et leurs chants Résonnent sous ses arches Mais personne ne marche Le long de la rivière. Pourtant c'était hier Que tous les amoureux S'en venaient deux par deux Echanger des serments. Le temps passe et il ment. Qu'a-t-il fait des toujours Au sablier des jours ?
Sur ses jambes si lourdes D'une douleur trop sourde Le pont a vacillé Et ses yeux ont cillé. Il revoit dans un rêve Des images trop brèves : Le geste du faucheur, L'offrande du semeur, Les épis qu'on moissonne Et l'angélus qui sonne, La course d'un carrosse Qui emporte la noce. Soudain tout va trop vite, La mort fait son invite Sous son horrible masque Et ses ignobles frasques. Le pont va s'écrouler ! Mais on entend couler Une musique douce, C'est la vie qui repousse !