Léo
Ça fait deux heures que tu restes planté là sans décrocher un seul mot.
Tu les regardes, te balancer leur joie à la figure, ça te colle à la peau.
Tes yeux brillants s’excusent mille fois d’être l’ombre de leur petit jeu,
De voler ces moments qui ne sont fait que pour eux.
T’aimerais faire ça toi aussi,
Redouter la fin d’une sortie entre potes,
Ce genre de moments où la décontraction fait de toi ce mec cool, libéré aux suites de vannes idiotes,
Rire, parler des autres, puis balancer des trucs déplacés,
C’est ton sommet, cette normalité.
Tu ne parles pas fort, t’aime pas déranger.
Les verres se vident, ton verre se brise.
Tu l’as tellement tripoté qu’il a fini par céder.
Lui non plus n’as pas trouvé place à l’attablée.
Tu es encore assis, ça fait trois heures,
Tout en voyageant au dessus de leurs têtes, en parcourant la planète en quelques secondes de pensée.
Tu attends le prochain silence pour enfin parler,
J’crois qu’ils parlent de meufs.
Balancer cette fichu phrase que t’as répété dix fois dans ta tête,
Dont il restera qu’un bref bégaiement peut-être,
Qui mentira un court instant mais te sauvera de la tempête,
S’ils ne t’oublient pas entre temps.
Tu ris parce qu’ils rient, tu comprends pas grand chose, tu t’habilles de paraître.
Tu veux juste survivre jusqu’aux derniers éclats de voix,
Ceux des salutations au moment des cigarettes.
A chaque fois c’est la même chose, t’es coincé dans ta tête.
Mais si c’était bon de transformer les gens,
Le monde se déshabillerait de couleurs.
Et même si tes mots peinent à arriver
Le monde peinerait de te manquer.
Il manquerait la beauté de tes maladresses,
De ces petits gestes qui te trahissent,
De l’amour que tu portes aux gens, tes excuses à répétition, tes gênes et ces satanés tics qui jaillissent.
Léo, même si tes mots peinent à arriver,
Il n’y a que toi qui te déteste.
Alors merci pour ta clairvoyance,
Merci pour ta retenue,
Merci pour ton élégance.
Tout prendra sens lorsque tu acceptera enfin d’être vu.
