Quoi ! lâcher ma CX ! ah non, plutôt la mort ! Brisons là, mes amis : je sais bien que j'ai tort, Que ma vieille voiture a toujours quelque panne Et que vingt mécanos vivent de cette manne, Et qu'avec tout l'argent pour ses soins englouti, J'aurais pu m'acheter quatre Maserati. Je ne connais que trop vos justes remontrances. Mais vous, que savez-vous de l'extase et des transes Que donne son volant, dès qu'on l'a dans les mains ? Pour son cœur hydraulique il n'est point de chemins Qui ne semblent tissés de velours et de soie, Et quand mon pied rageur la lance sur la voie, Attelée à cent-vingt fiers et fougueux chevaux, Dans ce magique instant qu'importent ses défauts ? Plus d'un jeune blanc-bec, qui s'est bien moqué d'elle, Apprend l'humilité dans son nouveau modèle : Il presse des deux pieds son accélérateur, Mais il est tout petit dans mon rétroviseur ! Ma CX a reçu, de sa mère Déesse, La puissante beauté, le confort, la souplesse, Et dans ce grand vaisseau l'on ne croit point rouler, Tant le voyage est doux, mais bien plutôt voler. Oh ! que jamais mon bras n'ouvre un autre portière, Que l'objet de mes vœux comble ma vie entière, Et que le Ciel clément, touché de tant d'amour, Me garde ma "Citron" jusqu'à mon dernier jour !