Le musicien effleure son instrument d'apothéose Dans la fumée fauve des cigares Une portée de Requiem court sur le murmure Semé tantôt de l'index, tantôt de l'auriculaire La variation s'élève le long du bois qui luit Et retombe sur l'humeur de désamour Les touches de blanc et de noir
Il joue des nocturnes de Chopin, éclairé d'une faible lumière Autour de lui, des idées sombres se lassent et s'assemblent en chaîne Se livrant entre elles parmi les quatre murs D'un bar ouvert, Le Marais dans la pleine nuit Des épanchements subits de pensées tristes à voir Des oscillations entrecoupées, des mains et du vice D'une eau-de-vie écoulée une dizaine de fois dans chaque verre Le blues du vendredi se ressasse sur un comptoir
Les liqueurs glissent dans les palais, se ruent de déboire À la défaite, et les notes de blessure Insinuées à partir de ces doigts tapis de gloire Sur le piano d'ébène, témoin d'une toute piteuse carrière Celle d'un mélomane brillant abandonné aux recoins des cafés obscurs Dans lesquels les hommes se laissent pâlir d'ivresse et d'ennui Les destins et les meurtrissures se rencontrent, sans savoir Entre des buveurs nauséeux et des artistes solitaires La beauté forge un pont où l'indifférence s'égare Parmi les oreilles distraites du public, sans cesse, en train de boire Puis laisse le souvenir estompé au petit matin de Paris D'un vieux pianiste aux doigts de Berlioz