Algo de gracia
Au cœur de Séville,
Un simple hangar, grand ;
Au sol, du béton ;
Devant le bar, de longues rangées de tables, vides ;
Dehors, un jardin andalou et quelques bancs ;
Trois musiciens sont assis là.
Ce n'est pas encore l'heure.
On entre dans le hangar.
Dans sa salle qui s'étire, comme un vaste couloir,
On s'attable.
Lentement, un brouhaha s'installe, chaleureux et vivant ;
On s'agite autour des jaras de sangria.
On attend.
Les voilà, ils sont quatre,
Quatre hommes ce soir qui s'annoncent par des roulements de guitare.
« Silencio por favor ! »
Leurs notes claquent déjà dans un début de mélodie,
Leurs palmas résonnent.
Agréables préliminaires.
« Vengo de mi extremadu-u-u-u-u-u-u-u-ra »,
Perce enfin une voix,
Celle d'un homme rond, brun ; bonhomme.
« Que vengo a caba-a-a-a-a-a-a-a-a-a-llo... »
Il chante avec gravité,
Celle qui habite le flamenco, profondément.
L'attention monte.
Un jeune homme se lève,
D'à peine 30 ans ; brun, élégant.
Sur une chemise noire à pois blancs,
Manches à demi-retroussées,
Il porte un boléro noir.
Son pantalon noir sculpte sa silhouette,
Ses chaussures reluisent.
Bien cirées et noires, à talons.
Il se place maintenant ;
Il attend sur la petite estrade en bois.
Il écoute, on le regarde,
Il se concentre, on le détaille.
Expectative.
Avec grâce et puissance,
Il se lance dans la danse, impétueuse.
Le geste précis, obligé par le rythme,
Il se déchaîne.
Suspendu aux injonctions de la cadence,
Il martèle le bois.
Con sus tacones.
Les quatre hommes se regardent et se suivent,
Dans un mouvement impeccable.
Les guitares portent,
La voix tressaille,
La danse expose.
Intimes complices de l'instant,
Les musiciens servent.
Danseur, danseur fougueux,
Ton corps est instrument.
Déploie tes postures,
Lève le menton,
Laisse la fierté habiter ton regard !
On frissonne.
À mesure qu'il se livre,
À mesure que ses gestes racontent,
On devine, on lit.
L'attitude d'hommes face à la vie,
La dignité de ceux qui ne se soumettent pas,
L'histoire intime d'un peuple, peut-être.