Le vieil homme tranquille
Les images, les sons, les odeurs, les bruits,
Au plus profond de notre esprit
Insidieusement trouvent à se blottir
Jusqu’à l’événement fortuit
Qui, brutalement, les fait resurgir.
Ils étaient là, cachés des regards
Et retrouvés par le plus grand des hasards,
Dans ce logis qui des années durant fut sien
Devenu depuis peu mon propre bien.
Spectacle émouvant de les tenir en main,
Car intacts ils sont les sabots de bois
Chaussés journellement par mon vieux voisin
Celui-là même qui n’avait plus de voix.
Son visage soudain apparaît
Sous quelques traits d’abord ridés.
Puis une allure sûre malgré le dos courbé,
Et le « clic clac » qui l’accompagnait…
« Clic, clac… clic, clac »
Il était le seul de notre quartier
Capable par ses pas à faire chanter
Ses sabots de bois aux lanières tissées.
« Clic, clac… clic, clac ».
« Clic, clac… clic, clac »
Son cabas sous le bras il s’en revenait.
Au bruit de ses pas sans même regarder
Nous savions de qui il pouvait émaner.
D’un vieil homme tranquille aux horaires réguliers,
Que la vie passée n’avait pas épargné.
« Clic, clac… clic, clac ».
« Clic, clac… clic, clac »
Et puis un jour la rue s’est tu.
Cette tendre résonance ne fut plus,
Cédant la place à l’étonnement puis au refus
De ne plus entendre cet homme de noir vêtu,
Le tac de son « clic clac » ayant, avec lui, disparu.
Enfant alors, aujourd’hui adulte,
Il est émouvant de revivre, tel un rébus,
Ces instants magiques si longtemps oubliés
Que seule la vue des sabots de bois a fait émerger.
« Clic, clac… clic, clac ».
12 juin 2003