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neimen etc erra

Hors champs (testament conditionnel pour départ précipité)

Je voudrais une dernière fois éteindre la lumière
ne pas régler quelques dernières affaires
mettre au noir ces choses que je n’aie pu taire
faire un croque en jambe à tous ces bruits qui courent
sur moi, sur le monde

                                                          l'illusoire

m'étendre le long du cahier telle une plume
finement tailler mon sommeil dans une enclume

j'emporterais avec moi
ce que m'inspire les arômes du monde
le goût de terre dans l'effort
le goût de fer dans les torts

Je voudrais éteindre la lumière, ne plus la rallumer
mon esprit filant sur une vague brune
me détachant au monde et monter vers la lune
telle une bouteille à la mer, éventée
à bout de souffle, peut-on encore crier ?
dans la sécheresse du néant peut-on encore pleurer ?

j'emporterais avec moi
l'odeur du feu de bois
les tisons qui crépitent
la rouquine qui s'agite

Je voudrais une dernière fois éteindre la lumière
ne plus faire ce que je ne dois pas faire
abandonner le sens de l'endroit, de l'envers
repasser par zéro, revenir en arrière
Anéantir les reproches et les jugements
que l’on tire sur nos coeurs à bout pourtant
toujours enfants dans la partie
irrémédiablement inaptes à murir

j'emporterais sur moi
l'odeur rassurante de l'eau qui bout
des pommes de terre qui s'écrasent
du beurre qui fond
de l'orange qui se presse
des citrons qui se zestent
des crèmes du soir
des cafés du matin
des baisers au miel

Je voulais chanter la joie, la floraison
mais j'ai oublié mes chansons
et j'avais tort
la seule qui nous ravivera, c'est la mort

Je ne laisserais pas de lettre dans le tiroir
- pas d'instruction
je ne prendrais pas le temps des bénédictions
- ni de l'affliction

Je ne m'agripperais pas à la vie par ses racines
re-lâchant mes instincts tenus en laisse
si je pisse au lit ce soir, qu'on m'y laisse
je ne guetterais plus les infirmières qui paissent

vacarme sur tout l'étage
calme plat au fond d'une cage
calme plein battant le silence
métronome à l'infini

Je suis impatient
un patient de l'obscur
un passager en noir
Et je sais, il est tard

j’emporterais avec moi ma connerie humaine :
une ligne blanche sur un sol noir
une pastille rouge dans le brouillard
un guide inconnu sur un boulevard

Je ne me ménagerais plus
je ne chercherais plus à me repentir
je ne m'organiserais plus pour me divertir
je serais là, face à moi
j'embrasserais le sort que j'ai eu
et il ne resterait rien car j'aurais tout bu

ultime biture
errant de travers
traçant une fêlure
celui qui part a fière allure

Si c’est le vent du monde qui raidit les voilures
c’est en marchant qu’on exprime sa droiture

J’aurais tant voulu monter
ce petit escalier qui mène à l’extase
Atteindre ces plaisirs pour lesquels chaque soupir
compte, chaque geste

Mais maintenant, il me faudrait m’allonger
m’étendre ; ou m’éteindre

En atteignant le terminus du bout du monde
est-ce que la mort, je pourrais la voir ?
est-ce qu'elle se dissimule au gré de nos espoirs ?
y-a-t-il l'heure juste ? peut-on y être en retard ?

Pourra-t-on se lier d'amitié avec les compagnons de voyage ?
aura-t-on le droit de se tenir la main ?
Saura-t-on y aller à cloche-pied
comme si on n’avait plus d'âge ?
Pourra-t-on se faire blâmer
de s'être soi-même pris en otage ?

Légaliser la mort
ne plus attendre et ne pas chercher
une autorité qui trouverait opportun ou poli
de punir l'insolence d'un acte
d'une décision fatale
un pied de nez à l'assemblée générale
Mourir en rêvant qu'on meurt
un sourire fringant, à sa hauteur
glaçant l'auditoire - ça se voit
qui a peur

Je saurais une dernière fois éteindre ma lumière
et ne plus la rallumer
ne plus faire le poids
et ne plus compter

Dans un soupir et sur un cygne
quitter l'esprit, la pensée fine
Tracer une ligne - avec les poings
finale