Dans une grande chambre claire donnant sur la place du village, Arsène attend la mort. Il sait qu’elle viendra bientôt le chercher, dans sa robe de velours noir, Elle, si belle et si étrange, Si lointaine et pourtant si présente dans le parfum du temps. Hier encore il passait ses mains dans ses longs cheveux de jais. Hier, il y a soixante ans, quand le destin ne l’avait pas encore emportée. Par la fenêtre, il aperçoit le tilleul séculaire et ses longs bras d'écorce ridée. Il lui sourit comme à un vieil ami, Ils se connaissent bien depuis le temps... Lui seul sait. Tout s’embrume, les jonquilles posées sur la table ne sont plus qu’un nuage doré. Il n’a plus peur, il est fatigué d’attendre, Certes elle a toujours su se faire désirer. Si seulement elle n’avait pas mis fin à ses jours, en ce maudit soir de mai... Ils avaient tant d’années encore à partager… Cet amour coupable, La providence aurait fini par leur pardonner. Il a froid tout à coup, sa langue s’encartonne Il se sent comme dans une bulle de fumée. L’air lui manque, il tourbillonne... Dans les nuées de charbon et de lumière, Il voit une fine silhouette se dessiner, Il ne sait s’il s’agit d’un ultime délire ou de la réalité. Qu'importe après tout si ce n’est qu’ un mirage, Elle est là, Il la reconnaît. C’est elle, c’est sûr, il l’aimera Pour quelques secondes encore, Pour l’éternité...