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Patricia Ganaj

Le garçon des réverbères publics

Il était une fois un garçon
Qui tous les soirs
Après quelques verres de cette Bloody Mary
Montait aux réverbères de la ville
Pendu à son lampadaire comme un étendard vivant
C’était sa façon à lui d’incarner sa liberté
C’était sa façon à lui de déchiffrer le monde
Même si une fois tout là-haut
Il s’écorchait violemment les paumes
Transpercées par la fine pellicule de fibre de verre
Sur le dessus des lampadaires
Les mains en sang, il clamait que le jeu en valait
la chandelle
Prêt à tout pour flatter les prunelles rivées sur sa folie
En quête de plaisir à l’état pur
Il faisait partie de l’écurie que j’aimais bien :
Celle de ceux qui vivent des hauts très hauts
pour des bas très bas
Vingt-trois heures de détresse pour une heure d’euphorie
Je trouvais que ces gens-là étaient probablement
Les gens les plus sincères que l’on pouvait croiser
sur notre route
Car ils ne savaient pas mentir
Lui, sa mélancolie, il la vivait sans mentir
Sans regarder personne
En se laissant glisser comme une gelée de confiture
sur un bloc de beurre trop frais
Il attendait simplement son tour
Patiemment
Sans artifice
Le bas très bas en attendant le haut très haut
Comme un passage sous un préau
Comme un passage dans un sentier un peu étroit
C’est éphémère
Ça passera
Comme la danse extatique d’une grande roue
Une fois redescendu de sa vue imprenable
Il s’en allait doucement permettre à ceux qui rongeaient
leur frein
De connaître leur heure de gloire à eux
En bas, il en profitait pour accumuler des désirs
Attendre son tour et remonter à nouveau
Drapeau libre livré aux humeurs des vents
Acrobate joueur lié aux aléas de sa chance
Il grattait le ciel pour trouver son numéro fétiche
Mais un jour
La poudre métallique soufflée au cœur
La tête à l’envers
Sans nul si découvert
Sans filet sous son tronc
Il a tambouriné comme un pivert
Et, sur les bords minces, il a vacillé
Les pieds pourtant attachés aux nuages
Les paumes recouvertes de fibres de verre
La peau pénétrée par de pures paillettes de bistouri
Plus lancinantes que des crissements
Du haut de son mat blanc
Il s’est tu en silence

(Moon Swings)