Le bar est enfumé par la brûlure des pipes Et le fond de la salle paraît un grand trou noir Un homme chancelant à sa table s’agrippe Une fille sans âge fait ses lèvres au miroir
Les flacons en pénombre n’ont plus leurs étiquettes Les verres à facettes sont de sombres miroirs Un juke-box fait entendre une aiguë clarinette Qui lacère et déchire la descente du soir !
Des marins qui chaloupent entre les tables vides S’affalent dans les bras de trop tristes catins Leurs mains hissent les voiles en caresses sordides Sur des seins sans chaleur et des regards éteints.
Une lune ronde et plate se lève à l’horizon Sa lumière sans éclat caresse la lucarne Les ombres se réveillent, animent les cloisons C’est le diable endormi qui tout à coup s’incarne.
La taverne a tourné le loquet de sa porte Solitude et tristesse cramponnent le comptoir Comme un tissu de lierres où nichent les cloportes ! Et la fille sans âge fait ses lèvres au miroir
La nuit et ses amants ont envahi le bar Quelques regards titubent dans le fond des verres vides Pauvres âmes qui se noient dans l’océan hagard De rêves inassouvis et de désirs turpides.