C’est le premier venu et le dernier parti Toujours dans le même coin, le coude bien calé On demande plus s’qu’il boit, il est déjà servi Un petit blanc sans nom mais qu’il désire bien frais. Il reste debout au bar. Il n’a encore rien dit.
Il faut un peu de temps et quelques verres de plus. Une fois qu’il est parti, on ne le retient plus. Il dit tout ce qu’il pense, crie sa joie, sa souffrance Il insulte, vitupère, invective l’assistance.
Il nomme par leur prénom le patron, sa bergère. Il raconte un passé, Alger ou l’Indochine. Il se dit vieux mataf, marsouin ou légionnaire Esquisse un pas de danse, boléro ou biguine
Puis il titube un peu, se cramponne au comptoir Renverse sa chopine, pleure sur une concubine. Déjà il est onze heures c’est l’heure du Ricard « Faut pas mettre beaucoup d’eau ! C’est pas de la bibine. »
Le patron sympathique comme à son habitude Lui donnera une part de son menu du jour. Plongé dans son assiette il dit sa gratitude A la patronne du rade, avec ses mots d’amour.
L’après-midi se meuble de siestes et de verres vides On change de couleur, du blanc on passe au rouge Et la nuit envahi peu à peu son esprit. Il va falloir partir il va falloir qu’il bouge.
Alors dans la nuit sombre il traîne sa solitude Le trottoir est une mer sans cesse en mouvement Il tombera parfois comme à son habitude. Sur son lit effondré il dormira longtemps D’un sommeil secoué par des sanglots d’enfant.