Frères Inhumains
Frères inhumains qui nous dirigez,
Ayez de ce Monde un peu de merci!
Car, pour puissants et riches que vous soyez,
Vous n'y êtes, comme nous, qu'en sursis.
Tous, nous sommes démunis et transis
Quand le temps nos certitudes charrie,
Mais vous! devez, par peur et veulerie,
Avec la Terre entière en découdre,
Pour soulager vos consciences pourries.
Que nul, jamais, ne veuille vous absoudre!
Est-ce que votre bonheur ne mesurez
Qu’en espèces et chiffres bien précis
Et qu’à un peu de plaisir vous n’accédez
Que sur des corps équarris et noircis?
Vos cœurs frigides ne sont-ils adoucis
Et vos âmes ne sont-elles nourries
Que par l’insoutenable boucherie
Qu’engendrent la mitraille et la poudre?
Puissiez-vous payer pour tant de tueries
Et que nul, jamais, ne vous veuille absoudre!
Par boulimie de pouvoir vous avez,
Avec franc succès, trompé et occis;
D’hypocrisie vous vous êtes gavés,
Comme de puritanisme rassis,
Au lieu d’avoir votre vie réussi.
Bardée d’arrogance et de pruderie
Votre existence ne fut qu’une duperie,
De laquelle ne purent qu’émaner et sourdre
La haine, le malheur et la barbarie.
Que nul, jamais, ne veuille vous absoudre!
De rien n’aura servi votre rouerie
Pour vous épargner des morts la fratrie:
à l’oubli posthume devrez vous résoudre,
Vous, dont la vanité fut l’égérie.
Que nul, jamais, ne veuille vous absoudre!
D’après François Villon, « La Ballade des Pendus »
Hayward, CA., mars 2003