La muse du ru Popelin Avait ramassé un miroir Sur un banc adossé au lavoir Elle avait miré son teint hyalin
Comme les effluves d’une terre inconnue L’onde du ru charriait des voyelles ingénues
La muse voyait dans son dos Toutes sortes d’animaux sortir de l’eau
Des salamandres noires moirées de jaune Avançaient sur les pavés monochromes Sur le dos comme s’il s’agissait d’hématomes Les crapauds portaient des yeux de fantômes
Agate d’or aux flambées brunes, les œufs Enroulés en ruban sur les pattes en œuvre Attendaient l’immersion pour s’humecter enfin Pour que les embryons en têtards trouvent la fin
Les crapauds accoucheurs avaient donné rendez-vous Aux tritons ponctués cachés dans les remous Des herbes brassées sous les jupes de la lune Pour chasser les escargots des grottes nocturnes
Un hibou s’envola pour sonner le glas D’une musaraigne venue s’abreuver au plus bas Un renard effraya un lapin qui malin Plongea dans le foin des chevaux opalins Un pic-vert était désemparé de ne trouver Aucun insecte par sa langue projetée
La muse tournée vers la forêt Avait ramassé son miroir En son centre près du lavoir Elle voyait défiler le passé
Une guerre toute entière Avec ses cadavres brûlés dans les chars Ses poings tendus, ses mains altières Ses barbares qui s’enfuyaient dans le brouillard
Une guerre toute entière Avec ses parachutes en lisière Ses tirs de mitraillettes dans la nuit noire Ses cris de libération après l’ultime bagarre La joie, la fête, les cœurs qui dansaient sur la Terre La paix avait plus de saveur que la guerre
La muse se tournait vers son miroir Regardait le futur qui se formait dans l’entonnoir D’un horizon que la charrue d’un tracteur labourait En s’enfonçant dans cette terre mamelonnée
La muse voyait dans son miroir
Que le futur ressemblait à ces cerfs Qui venaient s’abreuver des caresses