Au dix-septième siècle, un grand rêve guidait Sur tous les océans les marins hollandais. S’ils ont, pour le girofle et la noix de muscade, Mené plus d’un combat et plus d’une embuscade, S’ils ont su négocier les soieries du Japon Et en Inde, à Ceylan, le thé et le coton, C’est avec le désir tenace et boulimique D’armer et fortifier leur jeune république. Et quand les lourds vaisseaux, prenant la mer du Nord, Rentraient de leur voyage avec aussi à bord Le sucre, le tabac, les essences précieuses Que le Brésil produit sur ses terres radieuses, C’était pour déposer cette moisson de biens - Comme aux pieds d’une femme aimée qu’on entretient - Dans les entrepôts de leur chère capitale Derrière ses remparts de digues littorales : La paisible Amsterdam lovée dans ses canaux Comme le somnolent serpent dans ses anneaux Et dont chaque façade est la luisante écaille Du reptile endormi que le soleil émaille. Et l’on sent à longer ces maisons aujourd’hui - Ces austères maisons refermées sur leur huis - Le long des quais plantés de majestueux ormes Qu’en ces lieux a soufflé le vent de la réforme. Pas de décor pompeux, pas de vive couleur Sur ces murs quadrillés de baies vers l’extérieur, Seule la fantaisie d’un pignon en volute, Déclinée à l’envi, partout se répercute. Et du marché aux fleurs jusqu’à Multatuli, Du mobile pont maigre aux péniches fleuries, On peut encor mener une quête féconde De produits inouïs venant du bout du monde. Cherche-t-on un hamac, des étoffes griffées, Des cigares cubains, des alcools, des cafés, Un objet de design ou kitch pour sa cuisine, On aura son bonheur pour un peu que l’on chine. Même les filles qui s’exposent au passant Et l’aguichent avec un œil concupiscent, Venues du Surinam, de Java ou d’Ukraine, Sont des importations que cette ville draine.