Eloge de la lettre
Les jeunes amoureux, en nos temps digitaux,
Quand ils sont séparés et manquent de tendresse,
Ont pour communiquer les appels, les textos,
Qu’avec leur téléphone, ils s’échangent sans cesse.
Je suis triste pour eux car ces enfants venus
Au monde un peu trop tard ne pourront pas connaître
Tout le cérémonial et les plaisirs menus
Qui entouraient jadis l’arrivée d’une lettre.
Il s’agissait d’abord de guetter le facteur,
D’apprendre à repérer l’heure de son passage,
Reconnaître le bruit de son vélomoteur
Et ceindre d’une aura son discret personnage.
Quand on avait en main cet étui cacheté
Sur lequel on lisait une écriture chère,
On aimait un instant palper son velouté
Et humer son parfum réchauffant l’atmosphère.
Puis, délicatement, à l’aide d’un couteau,
On ouvrait l’enveloppe avant que d’en extraire
Les feuillets d’où glissait parfois une photo
Que l’être aimé avait inséré pour nous plaire.
Pour l’écrire, on pouvait conjuguer les couleurs
De l’encre et du papier, s’appliquer à traduire
Au mieux ses sentiments, y dessiner des fleurs
Et disposer les mots dans l’idée de séduire.
Celui qui se sentait une âme d’écrivain
Avait tout le loisir d’y exercer ses gammes,
Pour travailler son style, en faire son levain
Et même l’émailler de vers, de calligrammes.
Ces plis, jalousement, se conservaient longtemps
Dans des boites cachées loin des regards du monde,
On aimait les relire au calme son content
Et, de ses souvenirs, y pénétrer la sonde.
Grace à eux quelquefois, ressorties de l’oubli,
Se reconstituaient de touchantes histoires,
Des destins malmenés que la plume ennoblit
Et des amours d’antan parsemées de déboires.
Peut-on imaginer George Sand et Musset,
Hugo et sa Drouet, Lou et Apollinaire
S’échanger des textos, abrégés de français ?
Quel gâchis désastreux pour l’art épistolaire !