Enfant, je partageais la chambre de mon frère Qui prenait au sérieux les règles de grammaire Et trouvait le bassin du Vouga à son gré Comme les équations du deuxième degré. Moi, pendant ce temps-là, penché à la fenêtre, Je guettais le jardin pour y voir apparaître Un ange coutumier, fille du boulanger, Princesse des gâteaux à la fleur d’oranger Que n’impressionnait pas ma modeste baguette. Nul besoin, pour savoir la suite, d’un prophète : Mon frère s’est placé au sein de l’échiquier Et elle a épousé un prospère banquier, Elle a fait provision de kilos et de bagues Et vit loin des taudis et des espaces vagues. Moi je suis demeuré à guetter le jardin, Attendant dans le flou de mon esprit badin Que les journées d’antan avec leur tendre baume, Fidèles boomerangs, reviennent dans ma paume.
Dans le fond, j’ai raison, le temps n’a pas passé, Et lorsque, nostalgique, il me vient de placer Mon oreille attentive au creux de mon enfance Comme à un coquillage au bout de son errance, J’entends toute une mer de rires et de cris De cousines courant la plage en bikini. Ce coup de périscope est un bain de jouvence Qui ajourne ma mort et m’emplit d’espérance.