Grands-pères
Peut-être que bientôt, je serai un grand-père
Doté de chérubins avec des boucles d’or,
Une génération de plus jetée sur terre
Pour prendre ses quartiers et me pousser dehors.
Moi-même n’ai connu aucun de mes grands-pères,
Tous les deux disparus avant mon arrivée,
Les mots de mes parents restent les seuls repères
De leur mémoire, avec des photos délavées.
Tous les deux, pour jeunesse, ont eu la Grande Guerre
Comme tant d’innocents livrés à cette horreur,
Le sort n’a pas voulu, dans son rôle vulgaire,
Qu’au monument aux morts, leur nom soit à l’honneur.
Pour joindre les deux bouts et nourrir leur famille,
Du travail de la terre à celui du métal,
Sans que leur volonté, autrement ne vacille,
Ils se sont adaptés au changement global.
D’un modeste milieu, leur couleur politique,
A l’envers de l’Eglise, allait sur le vermeil,
Ils étaient du ferment de cette République
Dont le Front Populaire a été le soleil.
Ils n’étaient pas connus pour leur bon caractère,
On les disait plutôt rouspéteurs et bougons
Mais c’est en général le trait du solitaire
Qui n’aime pas marcher dans le rang des moutons.
Ils avaient en commun le goût des victuailles
Mais un régime vert les aurait morfondus
Car c’étaient des viandards, mangeurs de cochonnailles,
Pratique qui les a précocement perdus.
L’élégance, en leur temps, n’était pas trop de mise,
Ils ne fréquentaient pas tous les jours le barbier :
Aux lèvres le mégot, chiffonnée la chemise,
Le béret sur la tête et les sabots aux pieds.
Si, de me rencontrer, ils avaient l’avantage,
Se verraient-ils en moi un peu perpétuer ?
Moi, je ne renie pas leur fragile héritage
Et par ces quelques vers, tiens à les saluer.