Depuis trois jours entiers, je marchais hardiment Au travers d’un pays dépouillé, ne dormant Qu’où me prenait la nuit : Ici dans une grotte, Là sous un olivier pour toute chambre d’hôte, Fuyant le moindre lieu, par l’humain, habité, Rongé par une faim âpre de liberté. La pluie m’avait rincé et maculé de traces Et la boue des chemins alourdi les godasses Si bien que j’arrivais cet après-midi là Dans ce bourg provençal les batteries à plat. Le ciel était couvert, les ruelles désertes, Les portes de l’hôtel, làs, pas encore ouvertes. Je dus prendre patience et attendre dehors Pour toucher ma ration désirée de confort; Mais quel plaisir alors de passer sous la douche Pour s’y débarrasser de sa crasse farouche Puis sur un matelas bien ferme et bien épais De s’étendre un moment dans la soudaine paix, De demeurer prostré tout à fait immobile Après tout cet espace et la marche fébrile !
A l’heure du repas, il me fallut bouger Néanmoins pour descendre à la salle à manger Où sous les boiseries et la hotte de plâtre, Des flammes s’agitaient et pétillaient dans l'âtre. Tandis que des clients prenaient un verre au bar, Échangeant des propos vierges de tout écart, Je pris discrètement ma place à une table Afin d’être servi comme un digne notable. Je ne me souviens pas quel était le menu Mais ce lieu chaleureux semblait être connu Et fréquenté surtout par une compagnie D’hommes enracinés à cette baronnie : Paysans installés ou chasseurs de perdreaux - Pantalon de velours et chemise à carreaux - Qui, par groupes mangeaient autour d’un plat en sauce En devisant entre eux sans une note fausse. Je passais ce soir-là parmi leur société Un moment préservé de par sa rareté Avant que de reprendre au lendemain ma route Vers d’autres horizons, toute peine dissoute.