La sentinelle
C'est une tour dressée au bord de l'océan,
Ancrée sur un rocher que les vagues ceinturent,
Qui veille sur ce gouffre irascible et béant
Où de rudes gaillards néanmoins s'aventurent.
Sans cesse elle subit les foudres du ressac,
De la houle, des grains, des noroîts, des tempêtes,
De tous les éléments que, furibonds, en vrac,
Les esprits de la mer, contre les côtes, jettent.
On dirait la vigie observant l'horizon
Afin d'y déceler, apparaissant au large,
L'assaut d'un ennemi saisi de déraison
Dont il faudrait contrer la vindicte et la charge.
Mais c'est tout le contraire et son oeil lumineux,
Plutôt que d'espionner ce qui au loin menace,
Est là pour alerter de l'écueil épineux
Le marin affrontant l'obscurité tenace.
Il est puissant cet oeil et son feu entêté
Par un jeu compliqué de loupes, de lentilles
Concentre ses rayons sur un axe orienté
Pour lancer dans la nuit ses longues escarbilles.
Des phares, dans le monde, il en est des milliers
Amarrés à des lieux de vieille référence
Aux noms parfois fameux, mystiques, familiers :
Alexandrie, Belem, Lizard, Bonne-Espérance.
Ils sont bâtis de pierre ou de fonte ou de bois,
Quelquefois joliment peints de couleurs voyantes,
En bandes bigarrées, spiralées par endroit,
Tout comme un sucre d'orge aux proportions démentes.
Ils ont été placés sur un îlot désert,
Au bout d'une jetée, en haut d'une falaise,
Sur un cap avancé, à l'entrée d'un aber,
Près d'un havre accueillant, une passe mauvaise.
Mais tous sont émouvants dans leur isolement
Comme une imperturbable et digne sentinelle,
Toujours fidèle au poste avec son dévouement
Pour remplir sans bouger sa mission solennelle.
