Encore une journée à devoir affronter, De mes frères humains, l’opaque multitude Où il me semble voir souvent se refléter Comme dans un miroir ma propre solitude.
Dans le lacis des rues, les transports en commun, Le trajet quotidien, jamais la même tête Mais un long défilé mobile et importun D’inconnus sans chaleur qui sur ma vie empiète.
Dans mon activité, je dois aussi subir, De la part de certains le mièvre bavardage Et d’autres – se laissant par l’usure envahir – Une compromission qui a l’air d’un naufrage.
Pris entre la bêtise et la passivité, Et l’esprit pollué d’une sourde humeur noire, Comme Alceste le fit, je songe à déserter Et à me réfugier dans une tour d’ivoire.
Ce serait un logis affranchi des rumeurs Que distille sans fin l’ébullition du monde Où je cultiverais mille petits bonheurs Et d’où je mènerais ma pacifique fronde.
Ah ! Ne plus être acteur d’une conversation Ni me décarcasser pour un propos étique Mais glisser dans le bain de la contemplation Et d’un réconfortant silence monastique !
Observer le volume et les combinaisons Que façonne le vent sur les nues malléables Et, seulement porté par le cours des saisons, Laisser venir à moi les petits mots aimables !
Faire mon élixir de moments partagés Avec nombre d’auteurs, poètes, philosophes Dont les ouvrages sont sur mes murs étagés Et qui, de ces rayons, tour à tour m’apostrophent !
Mais ce rêve n’est pas une vie à souhaiter Et annonce plutôt un goût pour la paresse, Ce serait succomber à la facilité, Comme un renoncement, un aveu de faiblesse.
Mes semblables ne sont pas si désespérants, Il faut continuer d’aller à leur rencontre, Chercher à distinguer les éclats pénétrants Parmi tous les défauts que leur dehors me montre.
Et moi qui les dépeints, me suis-je regardé ? Qu’ai-je donc de si grand pour snober leur présence ? Ne présenté-je pas pour qui vient m’aborder Une figure qui, triste, plombe l’ambiance ?
L’asile de ma tour d’ivoire est assuré Et son séjour douillet souvent me rassérène Mais ce n’est qu’un abri fait pour me pondérer Avant de retourner me jeter dans l’arène.