Le héros maltraité
Monsieur de Cervantes, vous êtes bien cruel
D'autant vous amuser avec votre Quichotte,
Sous votre plume alerte, il est habituel
Qu'il goûte le bâton plutôt que la carotte.
C'est un homme pourtant plein de nobles vertus,
Pauvre mais courageux, résolu, héroïque !
Chez Guignol ou ailleurs, ne sont-ce les obtus
Et les sombres vilains qui reçoivent la trique ?
Mais lui qui s'est fixé pour louable mission
De, par le monde, aller pourfendre l'injustice,
Lui qui a décidé de passer à l'action
Pour faire rendre gorge au moindre préjudice;
Lui qui dans ses défis, ne craint pas le pouvoir
Pas plus que ses nervis de la sainte Hermandad
Et qui, face au danger, guidé par son devoir,
N'est jamais en flagrant délit de reculade;
Lui qui traite en égal son écuyer Sancho,
Modeste paysan à la paisible mine,
Et, bien qu'un espagnol, n'est nullement macho
Mais très respectueux de la gent féminine;
A chaque assaut qu'il mène est ridiculisé
Dans de piteux fiascos à l'arrière goût âcre;
Plus que triste figure, il vaut mieux le caser
Dans le genre burlesque en tête de massacre !
Pourtant, en écrivant, monsieur, votre roman
Vous avez façonné un héros invincible
Car si cent fois il tombe en ses engagements,
Cent fois il se relève et cherche une autre cible.
Oui, ce pauvre hidalgo souvent pris pour un fou,
Dans l'esprit collectif, avec le temps s'impose,
Malgré tous ses revers, comme le risque tout
Qui reste imperturbable et fidèle à sa cause.