Je suis comme un marcheur parti de bon matin Pour faire l'ascension d'un mont du voisinage, Qui a gravi longtemps et maintenant atteint D'un pas coordonné le but de son voyage.
Je me suis mis en marche à la pique du jour Quand le soleil encore enfoui sous l'horizon Ne laisse deviner que le rouge contour D'une lueur perçant la nocturne prison.
J'ai d'abord cheminé au fond d'une vallée, Ne sentant près de moi dans l'ombre persistante Le ruisseau enjoué qu'à son chant modulé Et les trembles douillets qu'à leurs feuilles bruissantes.
Ensuite, il m'a fallu m'élever lentement Par un sentier abrupt au flanc d'une montagne Entre de grands fayards qui, dans mon jugement, Me semblaient aussi hauts que des mâts de cocagne.
Mais quand j'eus dépassé leur couvert végétal, Qu'une vive clarté m'incendia le front, J'entrai, libre et conquis, dans l'espace vital De la mauve callune et du rhododendron.
Bien échauffé alors, je progressais sans heurt, Sautant à chaque pas de minuscules sources Qui me communiquaient leur candide fraîcheur, Je vivais sans savoir le meilleur de ma course.
Mais me voici déjà parvenant au sommet Tandis que le soleil a rejoint le zénith; Sur un sol aplani, je foule désormais Un gazon perforé de chicots de granit.
C'est l'heure de jouir de mon humble victoire, De capitaliser les efforts consentis, De porter le regard, depuis ce promontoire, Sur les étendues qui lui sont assujetties.
C'est aussi le moment de tirer un bilan, De relativiser mes espoirs matinaux Lorsque naïvement, je me voyais volant Vers des cimes baignées de limbes virginaux...