« Le souvenir est un poète, n’en fais pas un historien »
Les témoins d’une scène ont bien souvent tendance A avoir des avis divergents sur les faits, Dans un dialogue, l’un trouvera résonance, L’autre ne retiendra que des propos surfaits.
Les amants revivant en esprit leur idylle Ne se retrouveront pas dans les mêmes choix, Elle convoquera sa tendresse fébrile, Lui, le grain satiné de sa peau sous ses doigts.
La vérité passée au sas de la mémoire Subit quelque retouche et d’ornements, s’adjoint ; Le souvenir farceur réinvente l’histoire Et nous sert un produit transformé par ses soins.
Car lui seul constitue au long de notre route La réelle machine à remonter le temps Et qu’il lâche du lest ou parfois en rajoute, Il n’a pas la fonction du comptable patent.
Avec délicatesse, il sustente notre âme Par de brusques bouffées d’instants miraculeux, Des gouttes du passé à la fragile trame Mais pourtant sublimées de sentiments heureux.
(Si elle n’évoquait une émotion lointaine Pour Marcel, et un flot sensitif de beauté, Lui serait-elle si chère sa madeleine Et plus qu’une douceur à tremper dans le thé ?)
Il meuble notre ennui de toute son adresse, Nous fait voyager quand on ne peut plus partir, Nous pousse à constater, en usant de finesse, Que la vie n’était pas si moche à parcourir.
Moi qui, à discrétion, avec les mots dissèque L’impression qui me vient et la mets en chantier, Je n’ai qu’à explorer cette bibliothèque Pour trouver des idées tournées plus qu’à moitié.
Il est l’ange gardien, le compagnon fidèle Qui me porte secours quand je suis altéré, L’inattendu mentor, le fragile modèle Qui me souffle l’esprit propice à m’inspirer.