Ses ailes déployées de leur vaste envergure, Libre de toute entrave et de tout oripeau, Bien au-dessus de cette estivale pâture, A l’approche du soir, tournoie le grand oiseau.
Profitant d’un courant ascendant qui le porte, Il plane sans effort dans le fluide azuré Tout en scrutant le sol inexpressif en sorte De trouver un morceau quelconque à dévorer.
Il oriente à l’instinct l’angle de ses rémiges Et gouverne sa queue en maître timonier Afin d’exécuter les savantes voltiges Qu’admire le regard patient du fauconnier.
Son grand corps a subi l’épreuve des années, La bise des hivers et les pluies de printemps, Les automnes teintés de rouilles surannées Avec leur contingent de frimas et d’autans.
Il a su échapper dans la constante lutte Pour la vie aux dangers qui pouvaient le faucher, Le rapt de l’oisillon, l’accidentelle chute, La famine sournoise ou le trait de l’archer.
Ses muscles ont parfois du mal à lui répondre, Ses articulations grincent à l’occasion, On peut l’imaginer aisément se morfondre De voir ses facultés vives en perdition.
Mais il sait compenser la lente déchéance Par une économie affutée de moyens, La précision du geste issue de l’expérience Et la fière posture imputable aux doyens.
Le temps lui est compté, bientôt surviendra l’heure Où malade et trop faible il restera perclus Dans un pli de rocher, son ultime demeure, Et attendra la mort, lucide et résolu.
Mais ce soir, impérial, dans la lumière blonde Et l’air revigorant, le noble maraudeur Savoure le plaisir de voler qui l’inonde Et prolonge l’instant de sa libre splendeur.