Ils viennent s’installer sur la terre que d’autres Habitent sans répit depuis des temps lointains Tout en se prétendant les bienveillants apôtres D’un dieu nommé Progrès qu’ils tiennent pour certain.
Ils trouvent sous leurs pas un nouveau paysage Mais de son harmonie, insouciants, ils font fi Afin de le changer pour qu’alors se dégage, De son défrichement, un fructueux profit.
En quoi les plantations, les vergers et les vignes Savamment alignés par des cultivateurs Sont-ils d’un intérêt supérieur et plus dignes Que les herbeux déserts des nomades pasteurs ?
Parce qu’ils ont sué du sel sur cette terre Pour la domestiquer et la civiliser, Ils pensent détenir un droit autoritaire Sur ceux qui l’ont gardée sans la valoriser.
La seule aspiration qu’ils daignent à poursuivre Est l’accumulation de richesse et de biens, Ignorant que l’on peut prendre le temps de vivre Et goûter un instant qui ne rapporte rien.
Mais les exploitations dont ils vantent les charmes, Ces domaines gagnés aux fertiles moissons Sont aussi et surtout irrigués par les larmes De ceux qu’ils ont chassés de leurs vielles maisons.
Beaucoup de ces colons, forts d’une foi féconde, Apportent dans leur quête un livre sous le bras Qui précise : « A quoi sert de conquérir le monde Si l’on perd en chemin son âme pour cela ? »
De l’ouest américain jusqu’à la Palestine, De l’Asie du sud-est à l’Afrique du nord, Nombreux sont ces vainqueurs fiers de leur discipline Qui ont vendu leur âme à leur glorieux essor !