Les nuages
Une page de Jacques Lacarrière
Au dessus de la terre et de ses lignes pures
Qui séparent au loin les formes des reliefs,
Les nuages déploient en savantes épures
Le désordre profond de leurs aéronefs.
Émerveillés par eux depuis le fond des âges,
Les hommes ont donnés des noms à ces rondeurs
Afin de discerner les différents présages
Qu’annonce leur présence en leurs sacrées hauteurs.
Il y a les Nimbus qui, de leurs auréoles,
Nimbent le bel éther de contours capricieux,
Qui, avec leurs noirceurs et leurs volutes folles,
Sont des faiseurs de pluie au royaume des cieux.
Et puis les Cumulus, bulles qui s’accumulent,
Beaux pépères joufflus, humbles ou opulents
Et dont la société compte plusieurs émules,
Paisibles, tourmentés, sages ou turbulents :
L’Humilis tout d’abord, excroissance modeste,
Discret, peu élevé, affiquet des autans
Et dont l’apparition nullement ne conteste,
Même en troupeaux épais, le règne du beau temps.
Puis vient le Mediocris à l’ambition plus ample,
Qui pousse lentement ses bulbes racoleurs
Et dont les mamelons se gonflent à l’exemple
Des verrues que l’on voit aux tiges des choux-fleurs.
Ensuite le Fractus dont les bords se fragmentent
Pour mieux se reproduire en mouvement pressé,
Qui semble pourvoyeur de périls qui augmentent
Alors qu’il se défait et va se disperser.
Enfin le Congestus, le Cumulus vedette,
Le plus grand, le plus haut, le plus développé,
Potentat virulent et ivre de conquête
Qui déploie fièrement son panache huppé;
C’est lui qui dans le ciel dessine ces baudruches,
Ces palais cotonneux, ces célestes cités
Dont les flancs bourdonnants grouillent comme des ruches,
Menaçant de lâcher des fléaux redoutés.