L'évasion
Sans relâche, depuis des semaines nombreuses,
Les nuages engluent la cité populeuse
Et mon esprit, lui-même encombré de tourments,
Se prend à émigrer vers des cieux plus cléments.
Il aborde à l'envi aux terres maritimes
Sur lesquelles jadis, d'une aile illégitime,
Icare, l'ingénu, s'éprit de liberté
Et se perdit d'avoir découvert la beauté.
Eole est, sur ces lieux, l'incontestable roi,
Qui lance Meltémi, Ponant, Grec ou Noroît,
Pour faire à son loisir, du climat égéen
Mille variations des tons céruléens.
Dans chaque île, abrité à l'anse d'une crique,
Se cache un petit port où dansent des caïques
Avec, le long du quai, des réseaux de filets
Qui sèchent au soleil sous l'oeil des chats harets.
Des hommes au visage érodé au burin
Par le sel et le vent et les travaux marins
Débarquent en tenant des propos sémillants
Des poulpes enlacés et des poissons brillants.
De petites maisons au charme coutumier,
Toutes blanches avec des volets bleu-trémier,
Serrées au coude à coude entourent la marine
En étant adossées au versant des collines.
Une taverne sous l'ombre d'un tamaris
Accueille le passant en quête d'oasis
A ses tables en bois et ses chaises tressées
De paille que la mer vient doucement bercer.
Quelquefois, un jardin révèle un citronnier
Ou peut-être les fruits cuivrés du grenadier,
Fontaine de fraîcheur qui séduit l'étranger
Autant que les produits de l'humble potager.
Vers la montagne court un chemin muletier
Entre de bas murets et de tors oliviers
Et piqué çà et là, dans un galbe gracieux,
La flamme d'un cyprès filant droit vers les cieux.
On peut souvent y voir, monté sur une ânesse,
Un paysan noueux aux moustaches épaisses
Et les joues envahies par un buisson d'épines,
Activer sa monture avec une houssine...