Dans le matin blafard d'une journée d'hiver, Ronronnant froidement sa cadence de fer, Un triste et décadent train de banlieue m'entraine Vers où j'ai établi mon quartier de semaine. Mais voici que soudain, en franchissant un pont, J'aperçois un objet qui m'ouvre l'œil tout rond: Sur la Seine au dessous, un blanc bateau à aube Avance dans la brume et la pâleur de l'aube, Majestueusement battant sa grande roue Dans les eaux polluées et maculées de boue. L'espace d'un instant -fantaisiste utopie- Je me vois transposé sur le Mississipi, Dans un salon feutré où, sur un tapis vert, Des joueurs élégants s'affrontent au poker. En robe à crinoline et manches de dentelles, Des belles abritées sous de blanches ombrelles, Sur le pont du bateau, surveillent les abords, Craignant d'apercevoir d'affreux alligators. Tout ce monde rejoint la Nouvelle Orléans Qui niche sur le fleuve en son delta béant. Les rues sont encombrées d'orchestres rutilants Qui swinguent des morceaux rythmés et stimulants Ou pleurent près du soir des blues de circonstance Dont la mélancolie est la profonde essence.
Mais la réalité m'éloigne de ce lieu Pour me ramener vite à mon train de banlieue Et les gens de couleur présents dans le wagon N'ont pas l'âme à chanter du gospel en canon Mais tirent comme moi une gueule en biseau D'avoir été chassés de leurs rêves trop tôt.
