Pharmacopée
Quand la vie me réserve une belle entourloupe,
L’un de ses coups tordus dont elle nous pourrit,
Quand la raison flageole et le moral chaloupe,
Que le spleen s’insinue en brume dans l’esprit,
J’ai une thérapie solide et intrinsèque
Pour combattre le mal et pour y échapper
Et c’est en librairie ou en bibliothèque
Que je fais la revue de ma pharmacopée.
Je fouine, je feuillette en espérant de l’aide,
J’avale en comprimé des chapelets de mots,
Au besoin, revenant à quelque vieux remède
Pour me débarrasser de ce vilain bobo.
Daudet, raconte-moi encore tes errances
Agrémentées souvent de longues rêveries
Sur les chemins poudreux et ventés de Provence,
Les rivages de Corse et les bleds d'Algérie.
Baudelaire, déploie, impeccable poète
Avec la précision de tes vers lumineux
Les féeriques palais qui habitent ta tête
Et qui ont tant séduit tes cadets besogneux.
Thesiger, parle-moi de l'existence noble
Que l'on mène au désert, réduits à l'essentiel,
Où l'on apprend bientôt à tenir pour ignobles
Les objets vagissants du progrès matériel.
Kazantzaki, crétois, de ta plume dissèque
Les humaines passions et peins-moi de ton mieux
L'éternelle beauté de la nature grecque,
Toi le grand arc tendu entre les mains de Dieu.
Giono, dispense-moi ta vision inspirée
Des terres oubliées et des herbeux plateaux
Où vivent les bergers dont les rêves dorés
Sont l'unique richesse avec leur grand manteau.
Cohen, refais-moi rire aux exploits émérites
De ton Bey des menteurs et de tes Valeureux
Du temps à jamais clos où ces israélites
Que tu as tant chéris vivaient ensemble heureux.
Loti, toi qui as vu mille contrées diverses,
Des rives du Bosphore aux temples de Kyoto
Et des Tuamotu jusqu’aux minarets perses,
Offre-moi le secours de tous tes mémentos.
Et vous les manieurs de plume vagabonde,
Les hardis défricheurs de vastes horizons,
Faites-moi bourlinguer sur les routes du monde
Pour dissoudre au grand air l’encre de ma raison.
Oui, avec vos nombreux et talentueux livres
Dont la substance est riche et nourrit comme un œuf,
Redonnez-moi le goût et l’appétit de vivre
Et, sans autre artifice, un enthousiasme neuf.