Les rues de Rochefort, larges et rectilignes, Avec leur couleur blanche offrent à voir les signes Que dans le ciel tendu, l’océane rumeur Dépêche aux résidents qui ont la mer au cœur. Libre et décontracté, j’aime m’y promener Et, baigné de clarté, recevoir sur le nez, D’un nuage tombé, une goutte fugace Qui vient de traverser ce lumineux espace. J’aime à imaginer cette ville naissant Du désir belliqueux d’un souverain puissant Sur de pauvres marais que la seule Charente Fréquentait jusque là dans sa course indolente. De lourds convois tirés par de solides bœufs Traînent les matériaux sur les chemins bourbeux Pour apporter de loin les grumes et la pierre Sur le site choisi où une fourmilière D’ouvriers se démène autour de l’arsenal, Des forges cramoisies et du chantier naval. Tout au bord du cours d’eau, les bassins de radoub Résonnent sans arrêt des clameurs et des coups Des charpentiers marins qui assemblent en hâte Les coques des trois-mâts, des bricks et des frégates Qui voleront bientôt sus au perfide anglois Pour défendre l’honneur de la France et du Roy.
Aujourd’hui que s’est tue la fureur du canon, Que l’ennemi d’hier n’est plus d’infâme nom, Que la paix a conquis nos bienheureux climats Et repoussé plus loin l’ivresse des combats, Reste la tentation de la rive prochaine Pour fuir sur l’océan, rêver d’îles lointaines, Singapour, Kyushu, Pâques et Tahiti Où les palmiers ondoient sur la fleur du loti. Pour les enfants d’ici qui sont partis ailleurs Chercher à l’aventure un avenir meilleur Et qui le soir parfois s’avisent de leur sort Sur le pont d’un navire ou dans le fond d’un port, Combien dans leur exil du bout du monde songent  la douceur de vivre au pays de Saintonge,  la verte campagne et aux prairies fauchées Aux aïeux endormis à l’ombre d’un clocher Et aux pauvres marais qu’encore la Charente Fréquente assidûment dans sa course indolente ?