Nous partîmes d’Alger le matin de bonne heure En voiture pour suivre une route majeure En direction de l’est dans le soleil de juin, Tentant d’imaginer notre objectif au loin. Je me souviens d’avoir parcouru des espaces, Des plaines au sol ocre où l’on cherchait des traces De ce vaste désert d’où tant de voyageurs Sont revenus chargés de récits tapageurs : Un méhari peut-être avec son pas qui danse Et va nonchalamment ou, sur une éminence, Un ksar moitié ruiné en robe de pisé Dont le mur ancestral, au vent, s’est abrasé. Mais rien à l’horizon qu’un âne à sa besogne Ou, cherchant sa pitance, une altière cigogne Avec de loin en loin, la traversée d’un oued Dont le cours asséché sinuait dans le bled. Pour rompre la longueur de ce ruban d’asphalte, Près du souk animé d’un bourg, nous fîmes halte Afin d’y acheter à un étal bondé Des nèfles au kilo, dégustées sans tarder. Sur les coups de midi, pleins d’une humeur badine, Nous marchions dans les rues enfin de Constantine, Assaillis par l’éclat du soleil impérieux Et le reflet vrillant des murs blancs dans les yeux. Sur le trottoir vivant, nous marchions sans contrainte, Laissant la cité nous marquer de son empreinte Lorsque le mouvement des passants, affluent Nous mis brusquement face à un gouffre béant : Je ne le savais pas avant que je n’y aille, La ville est partagée en deux par une faille, Une gorge profonde au corridor étroit Qui peut impressionner et pénétrer d’effroi Celui qui dans sa chair est sensible au vertige Et, maladivement, face au vide se fige. Sur ce ravin fameux, l’homme a jeté des ponts Sur lesquels circuler engendre des frissons ; Après bien des années, cette bizarrerie Demeure mon plus fort souvenir d’Algérie.