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Renaud BOSC

Solitude

Je me vois librement marcher sur une lande,
Une lande ondulée battue par un grand vent
Comme dans ces contrées abandonnées d'Irlande
Où l'herbe est verte d'eau et gris, le ciel crevant.

L'horizon est lointain dans ce chaos de gouttes,
Je marche indolemment, j'ai réussi enfin
A laver ma pensée et une fois pour toute,
De ces rêves clinquants, je n'ai aucune faim.

Pourquoi devant mes yeux cette obsédante image,
Pourquoi toujours en moi cette mélancolie
Qui sait me recréer les somptueux mirages
Et la douce candeur de l'enfance abolie?

Oui, pourquoi suis-je donc si souvent nostalgique?
D'autres sont pleins d'ardeur, imprégnés d'une foi
Où le doute est absent, moi je suis allergique
A ces emportements, à ces vigueurs, pourquoi?

J'emprunte quelques pas à cette lande éparse
Lorsque sur le chemin je me retrouve seul,
Quand je me sens de trop, inutile comparse
Qu'on oublie aisément comme un lointain aïeul.

Plus grande déception se peut-il nous échoir
Que l'amère leçon d'un ami, cet appui,
Qui reprend sa distance en laissant apparoir
Combien notre horizon est maintenant réduit ?

Ainsi donc chaque fois que je suis seul au monde,
Je vais me promener dans ce palais de pluie
Et un très attachant pressentiment m'inonde:
J'aurai sur mon chemin, souvent recours à lui.

Néanmoins, ce séjour isolément avise
Qu'il faut se méfier de la facilité
Et que de se hâter trop dans ses entreprises
Ou dans ses amitiés doit être redouté.

Observer du dehors ses semblables en groupe
Permet de voir combien la bêtise y sévit
Et que le risque est grand d'y tomber sous la coupe
D'un potentat bavard et sa cour de ravis.

Le contact de ses pairs a-t-il tant d'importance,
Qu'au mépris de soi-même, il faille y délaisser
Sa personnalité et son indépendance,
Les seuls biens primordiaux à tout homme sensé?

La mise en quarantaine est une rude épreuve
Qu'il faut appréhender sans angoisse et sans gant
Et d'où l'on peut sortir avec une peau neuve
Étonné de se voir soudainement fringant.

Et l'on peut éprouver beaucoup de gratitude
D'avoir péniblement supporté cette croix
Et après un moment d'intense solitude
Se sentir retrouvé en compagnie de choix.