Je pense à toi, la Loire, et à tes bancs de sable Où viennent se poser des oiseaux passagers, A ce charme puissant et indéfinissable Que tes berges déploient d’Orléans à Angers.
Episodiquement, un pont jette ses arches En nombreux ricochets sur le plat de tes eaux Sans distraire un instant ton impassible marche Vers l’océan prochain entre de blonds coteaux.
Des villes de tuffeau et d’ardoise angevine Sont blotties par endroit sur le bord de ton cours, Où des maîtres du verbe en des broderies fines Vantaient jadis leur belle et leurs nobles amours.
Je pense aux ouvriers cuirassés de courage Qui, de ces villes, ont été les bâtisseurs, Qui chantaient le matin en allant à l’ouvrage Comme nous le contait mon vieil instituteur.
Ma pensée est pour eux plutôt qu’aux rois de France Quand je vois se dresser abbayes et châteaux, Pour leur art consommé, leur antique science, La joie de leurs refrains, l’écho de leurs marteaux.
Les pierres excavées ont laissé des ornières Dans tes flancs, souterrains ici emménagés En logis troglodyte et en champignonnières Où le rai du soleil ne peut se propager ;
Le soleil qui sur toi réverbère ses flammes Pour mûrir lentement des crus de grand renom Que dans leurs réunions, de bons viveurs acclament De l’Aubance au Vouvray, du Bourgueil au Chinon.
Et de tous tes enfants, le plus emblématique, L’illustre, le fameux, le grand Gargantua, A vidé à lui seul bien plus d’une barrique Durant ses libations riches de chapons gras.
Toi, Loire, descendant de ta lointaine source, Saisis-tu en passant un peu de la rumeur De ce peuple hardi pour, au fil de ta course L’emporter vers la mer où ta force se meurt ?