J'ai dans un coin de ma mémoire La silhouette d'un vieux toit, Ainsi commence mon histoire A l'ombre bleue d'un petit bois. Comme la vie me semblait belle Malgré l'orage et le ciel gris, Sous les rameaux de la tonnelle Quand j'écoutais chanter la pluie. Qu'il faisait bon dans la cuisine L'hiver près du poêle à charbon, Après la soupe et les tartines On écoutait les Duraton. O ma maison sous les étoiles, Mon havre, mon île enchantée, J'aimerais retisser la toile De mes printemps inachevés. Il dansait des ombres chinoises Dans la chambre au papier jauni Et l'abat-jour à pois turquoise Semait des rêves sur mon lit. La buée nimbait de mystère Les vitres engourdies de froid, S'y accrochaient maintes chimères Que je traçais du bout des doigts. Chez nous pas de Croquemitaine, Mais un sinistre Romano, Ses yeux plus sombres que l'ébène Brillaient la nuit sous le rideau. L'on me contait qu'en sa roulotte Il mangeait les petits enfants, Tout ça n'était que fable idiote Que j'ai bannie depuis longtemps. O ma maison tes sortilèges N'en finissent pas de tourner, Chevaux de bois sur un manège Au vent de mes tendres années. Papa poussait la chansonnette Le dimanche au son d'un phono, Y'avait au fond de ses mirettes Un bal musette au bord de l'eau ... Maman vaquait à son ouvrage Gérant au mieux le quotidien, De sa vaillance et son courage Je n'ai, hélas, que quelques brins. Des ombres glissent en silence, Mes chers parents où êtes-vous ? Est-ce le poids de votre absence Qui peint des larmes sur mes joues ? O ma maison, l'âme en déroute, Il me fallut un jour d'été, T'abandonner près de la route, Du chagrin plein mon tablier. Par quelque soir, seule à la brune, J'aimerais tant te revenir, Voir à nouveau danser la lune Sur ton vieux toit et m'endormir.