Amnésie
Je peux bien oublier de renaître au printemps,
Ou la beauté des fleurs, ce temps où je vivais,
La femme que j’aimais, celle dont je rêvais,
Je peux perdre à jamais toute notion du temps.
Il peut, de mon vécu, ne rester nulle trace,
Ne point rester gravé le moindre souvenir,
Mon passé aboli, absent mon avenir,
Je peux me perdre enfin dans le temps et l’espace.
Je vis comme un aveugle inventant les couleurs,
En parcourant frileux, mes années de l’automne,
Tandis qu’au fond de moi cet enfant qui s’étonne,
Reste intact, recherchant de nouvelles valeurs.
Les ans ont pu couler comme lave en fusion,
S’éteindre dans le ciel, mes paradis lointains
Ou mourir tout à fait mon bonheur des matins,
Il s’obstine en mon cœur un semblant d’illusion.
Je marche vers le soir en gardant dans son nid,
Cet oiseau tourmenté dont tu m’as fait cadeau,
Je suis déjà partant sur mon frêle radeau,
Au bout il est la mer, le large, l’infini…
Telle l’eau des torrents la vie a pu passer,
Se séparer nos mains comme pas qui s’écartent,
S’écrouler dans le vent, tous nos châteaux de cartes
Mais mon cœur bat toujours simplement moins pressé.
Des forêts, des prairies, des lacs et des étangs,
Des montagnes bleutées ou des neiges qui fondent,
Du mystère du temps, la poésie du monde,
Je ne garderai rien ou si peu et pourtant…
La petite lueur à l’autre bout des cieux,
Née du fond de ma nuit et de ma cécité,
Vit en mon souvenir de toute sa clarté,
Etincelle d’amour cet éclat de tes yeux.
Comme un restant de vie arrachée au hasard,
Que tu gardais pour moi, dans ton dernier regard.