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Roger VIDAL

Les gens d'alors

Des luttes ricochant comme l’eau des cascades
La vie naissait partout incroyablement belle
Et Prévert appelait le soleil, camarade,
Le siècle de ce temps brûlait trente six chandelles.
Après avoir subi des années de silence,
Ils chantaient en juin et c’était beau à voir,
De l’histoire qui va à celle qui balance,
Ils écrivaient ensemble une page d’espoir.
Et le temps reconquis et le temps que l’on aime,
Et le temps des projets où l’on croit à demain
Et le temps de la vie, le temps d’être soi-même,
Le temps de se sentir totalement humain,
Ah les congés payés !... Images d’Epinal,
Auberges de jeunesse exodes à vélo
Et la mer argentée au soleil matinal
Et les rouges couchants qui se mouraient dans l’eau.
Mais déjà à Munich on signait la défaite,
Les nazis écrasaient Guernica en grondant,
Maginot enterrait les idées toutes faites
Tandis que les chacals déferlaient par Sedan.
Et tombaient Teruel et Prague et Varsovie
Et Paris, écrasant de stupeur, l’univers.
De cet été trente six où explosait la vie,
Quatre ans avaient suffi pour en faire un hiver.
Et tomba le silence au monde des fantômes
Troublé du bruit des bottes sur les trottoirs souillés,
Le couvercle de plomb sur la tête des hommes
Et l’Europe peuplée de serfs agenouillés.
A l’heure où la terre craquait de bout en bout,
Où l’avenir semblait n’être plus qu’allemand,
Il en fût quelques uns qui se mirent debout
Parce qu’ils ignoraient qu’on pût vivre autrement.
Ceux-là qui refusaient d’obéir ou se taire,
Qui maniaient contraints, la plume ou la grenade,
Ils s’appelaient : Mocquet, Perry ou réfractaires,
Ils s’appelaient aussi, comme ça : camarades.
Ils étaient de ce siècle ou en l’autre étaient nés,
Leur vie commençait juste ou presqu’était finie
Mais qu’importe après tout, qu’importent les années ?
Tous portaient en leur cœur, la jeunesse infinie.
Ils étaient par nature, ils étaient résistants,
Un peu comme on respire, simplement comme on vit,
Ils étaient bien vivants, ils étaient de leur temps,
Ils se tenaient bien droits et ils aimaient la vie.
Ils n’avaient que leur cœur à donner en partage
Aux peuples humiliés dans l’ombre éparpillés,
Ils vécurent à fond jusqu’au bout du voyage
Et ils furent cent mille à être fusillés.