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Roger VIDAL

Nos nuits d'hiver

Il est perdu en moi, un air qui m’accompagne
Venu d’une autre vie aux autans sans souci
De l’avent au carême et au quel s’associe
La féerie de ces nuits d’hiver à la montagne.

Le soir ma sœur et moi, les devoirs terminés
Passablement bâclés mais après tout qu’importe,
Avant que les voisins ne frappent à la porte
Nous prenions position prés de la cheminée.
Dans la douce chaleur à l’odeur de résine
Nous restions là blottis sur la banquette en planches
En regardant danser les flammes bleues et blanches
Tandis que nos parents ordonnaient la cuisine.
Aux rigoureux hivers, temps de nativité
Glaçait la bise au soir qui sifflait en passant
Mais le feu crépitait, dans l’âtre rougissant…
Sages, nous attendions les premiers invités.
Et la porte s’ouvrait comme en un coup de vent
Dans un blanc tourbillon de flocons secoués
L’oncle Jules soudain entrait et s’ébrouait
Puis enlevait sa cape en un geste savant.
Et dans le mouvement comme sa sœur jumelle,
Suivait tante Louise en retirant ses gants
Et claquant sur le seuil ses sabots élégants
Pour en chasser la neige accrochée aux semelles.
Un à un surgissaient comme des super stars
Les autres visiteurs tous emplis de paroles
La dernière toujours était Marie Carole
Dont le réveil sonnait constamment en retard.
Le cercle autour du feu, rassurant grandissait,
Telle une protection qui sans cesse s’accroît,
Contre la solitude et l’hiver et le froid
Et quelle volupté lorsque je m’y glissais !
Là le cousin Fernand, le voisin Irénée,
Nous racontaient leur guerre au temps des maquisards
Tandis que l’oncle Elie nous parlait des isards
Puis nous chantions parfois « Montagnes Pyrénées »
Puis venait le moment des légendes et drames
Les fantômes, les loups, le diable et les sorcières
Vivaient leur propre vie, vécue sous nos paupières
Aux ombres projetées à la lueur des flammes.
Rituel montagnard, le vin chaud frémissait
L’Orange et le citron y mêlaient leurs aromes
Plus un doigt de cannelle et des morceaux de pommes
Recette de bonheur et d’amitié qui sait ?
Des grands nous apprenions la langue et la morale
L’Occitan, le devoir et le respect de l’âge
Mais aussi les échos, les rumeurs du village
C’était cela je crois « La tradition orale ».

Mon enfance tu fus le temps des effusions
Des joies non retenues, des fleurs de l’innocence
Mais tout cela cessa à mon adolescence
Et arriva le temps de la télévision.