Heurt d'amour
Le temps était pesant ; elle rentrait du marché.
L’orage s’approchait. Il fallait se cacher.
Sous un abri trouvé, elle chantait du Mozart ;
De sa fenêtre, il l’observait, les yeux hagards.
Il s’approcha pour l’inviter, comme ébloui.
L’averse était glaçante. Elle lui dit oui.
À ce rendez-vous clandestin, ils se sont appris
Et au piège de l’amour, ont été pris.
Il avait les yeux comme le fond de la mer,
Elle avait un teint pareil au fond de la nuit.
Il était né d’une famille riche et prospère,
Belle enfant orpheline, elle était démunie.
Il devenait sa force et son courage,
L’ami fidèle, sa joie, son assurance.
Mais la vie vint lui imposer un voyage
Qui la laissa exsangue, vidée par son absence.
Après plusieurs années d’intense solitude,
Il était là mais loin de combler ce grand vide.
Elle espérait le voir orner d’amour ses reins ;
Elle espérait ce soir qu’il la prît par la main.
Elle allait le rencontrer et se doutait qu’il eût changé.
Elle mit en scène un repas aux chandelles
Elle voulait le séduire, être prête, être belle.
Ne voulant rien manquer, ni pendant, ni après ...
Elle affinait ses jambes sur d’intenses talons noirs,
Magnifiait sa peau brune dans une robe d’ivoire,
Un corset à rubans, un collier de corail,
Une boucle d’oreille, pas d’oubli, pas de faille.
Débout, face au miroir, maquillant son visage,
Tel un peintre traçant au mieux un paysage,
Parfum, senteur jasmin, odeur d’un doux supplice,
Pour un instant rêvé, une nuit de délice.
Les heures s’enchaînaient. Elle demeurait assise.
Les minutes lui pesaient. Elles n’étaient plus exquises.
S’écrivait l’épilogue sombre et irréversible,
D’une histoire triste et inaccessible.
« L’amour est un forage extatique et vermeil
Qui souvent se laisse tromper par le soleil. »
Pensait-elle, allumant un incendie de pleurs,
Balayant à nouveau les cassures de son cœur.
